vendredi 1 mars 2002

Quand l’Église agit comme une multinationale… Comment devrait réagir le peuple de Dieu?



Ce texte (paru en mars 2002 dans Viateurs Canada (no. 80, p. 22-23) fut l'une de mes premières controverses officielles avec l'Église catholique. Alors que j'étais co-coordonateur de l'organisation des Journées mondiales de la jeunesse 2002 pour le diocèse catholique romain de Valleyfield, cet article avait provoqué de grands bruits au bureau national des JMJ à Toronto. C'est ce qui m'avait valu de me faire ramener à l'ordre par le directeur national lui-même qui me traîta alors de mauvais garçon!


Du 10 au 13 janvier dernier, j’étais en congrès, en plein cœur de Toronto, en vue de l’organisation des Journées Mondiales de la Jeunesse 2002 (JMJ). Étaient conviés à ce forum, les responsables diocésains de chacun des 63 diocèses canadiens, de même que les délégués de 52 conférences épiscopales des quatre coins de l’horizon. Au total, 500 personnes, pasteurs et brebis de l’Église de Dieu, étaient réunies au Delta Chelsea, un hôtel étoilé au centre-ville de la capitale ontarienne.

À vrai dire, dès mon arrivée devant cet immense palace, je sentis mes origines rigaldiennes refaire surface: “Mon Dieu un valet! Voyons! Je peux porter mes valises tout seul… Pourquoi le concierge a-t-il son bureau en plein milieu du hall d’entrée? Chez nous les concierges n’ont même pas de bureau!” Encore plus ronds étaient mes yeux lorsque j’ai constaté le prix de ma chambre située au 21e étage: 320 $ par nuit en haute saison… Plus tard, en début de soirée, nous avons eu droit à un buffet “bien béni” où je me suis même trompé dans les ustensiles mangeant le plat principal avec la fourchette à dessert… Inutile d’ajouter que la surabondance du buffet, combinée avec le scintillement des lustres de cristal, me donnaient plutôt à réfléchir sur le thème de notre futur rassemblement avec le Saint-Père : «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde» (Mt 15, 13-14). Par chance, le reste de la soirée se déroula sans anicroche. Pourtant, un détail m’étonne: le comité organisateur des JMJ, voulant mettre en évidence l’importance du sacrement de la réconciliation, nous révèle que les Chevaliers de Colomb offrent un chèque de 1 000 000 $ pour l’aménagement d’un “parc de confessionnaux” sur la rive du lac Ontario…

Le lendemain, suite à un déjeuner continental propice aux échanges entre délégués nationaux et internationaux, débutèrent les sessions, parfois longues, dois-je avouer. Il s’agissait d’une panoplie d’informations relatives aux événements à venir: sécurité, estrades, infirmerie, toilettes chimiques, catéchèses, transport, etc. La journée se déroule relativement bien et tout le monde semble heureux. Un autre détail retient mon attention: tous ces prêtres, jeunes ou plus âgés, tout de noir vêtus et ornés du collet romain. Cet habillement ne fait-il pas fuir ceux que nous voulons rassembler? À tout le moins, il n’incite pas au rapprochement…

Départ pour la cathédrale de Toronto: une messe solennelle présidée par un prélat romain et télévisée à l’échelle nationale. En fait, tout fut très ordonné lors de cette célébration: les évêques à l’avant, les prêtres dans les premiers bancs à gauche, la chorale au milieu de l’église et le reste du peuple des rachetés où il restait de la place… Une célébration parfaitement bilingue (!): une prière universelle en français et le reste dans la langue majoritaire de notre beau pays… Bref, une célébration sans grand dynamisme accompagnée par une chorale de 300 jeunes chantant des cantiques traditionnels avec une monotonie peu ordinaire. En somme, le type de célébration tellement plate et inadaptée à la jeunesse que je me demandais si je participais vraiment à un congrès des JMJ ou à je ne sais trop quel mouvement de droite. Et moi qui essaie de montrer une image dynamique de l’Église aux jeunes que j’accompagne!

Pire encore fut la soirée! Imaginez la ville de Toronto, parée de tous ses feux, conviant les délégués jmjistes du monde à un grand souper en compagnie du premier citoyen de la place (qui soit dit en passant serrait la main des Hells Angel le matin même…). “See how Toronto is a beautiful city!” Par hasard, pendant que tout le monde sirotait son apéro, l’oreille chatouillée par la musique de l’orchestre de chambre tout en grignotant les fins fromages canadiens, je rencontrais un homme du Congo. Après salutations, je lui ai demandé: “Combien de jeunes de chez vous pensez-vous envoyer à Toronto?” Et l’homme de me répondre en fronçant les sourcils : “Probablement aucun. Vous savez les visas canadiens sont très difficiles à obtenir et le coût des billets d’avion exorbitant. Le Canada, c’est au bout du monde. Les JMJ vont bientôt devenir un événement purement occidental…”

C’était la goutte qui fit déborder le vase: les Chevaliers de Colomb peuvent donner un million de dollars pour construire des “confessionnaux jetables” alors que nos frères africains ne pourront prendre part aux JMJ ? La ville de Toronto pouvait nous accueillir au champagne et au saumon fumé, mais le Canada demeurait toujours au fin fond d’un igloo en plein milieu du pôle Nord… Autant dire que j’en avais l’appétit coupé. Notre société d’apparat me levait le cœur. Comment mon Église pouvait-elle se lier à cela? De voir tous ces gens qui buvaient goulûment leur champagne et les paroles mielleuses du maire de Toronto, c’en était trop! Je me suis dit: Est-ce que c’est ça être lumière du monde? Est-ce par l’image d’une Église qui fait des meetings comme les multinationales que les jeunes vont adhérer au Christ? J’étais convaincu que nous faisions fausse route… Heureusement, la simplicité de mes “collègues de travail” des différents diocèses québécois m’a ramené les deux pieds sur terre.

La liturgie du lendemain, dans “l’intimité” de la salle de conférence de l’hôtel a aussi calmé ma crise de foi… J’étais même content lorsque la province de l’Ontario nous a accueillis au Ginger Ale le dimanche midi, au Skylon restaurant, tout en tournant à 20 mètres au-dessus des chutes du Niagara… De reprendre le VIA Rail pour revenir à Montréal, c’était presque l’extase. De rencontrer mon équipe JMJ, au diocèse, le lendemain c’était… l’Église, dans ce que j’aime le plus de sa simplicité et de son authenticité.

Somme toute, après ce long périple, je fais une fois de plus mienne la prière de Jésus: “Ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, je te remercie d’avoir révélé aux petits ce que tu as caché aux sages et aux gens instruits.” (Lc 10, 21b)