Foward ! ... Foward ! … Foward ! … En avant pourquoi déjà ?
Texte écrit très tard par Angela Gabriella Aurucci, Denise Couture, Jean-François Roussel et moi-même au soir de la première journée du Forum social mondial. La finale est de Jean-François.
Nous sommes tous les quatre dans la chambre de Michaël. Il n’y a à la ronde que des eucalyptus et des acacias, pas une moindre bière pour noyer le chagrin de la délégation dans l’anticipation du départ de Denise vers Montréal. La journée, comme ses précédentes, a été intense et riche à tous les niveaux. Dès 9 heures ce matin, pendant que la moitié de nos collègues du FMTL restait à la maison pour une réunion d’évaluation du Forum, l’autre moitié partait déjà (après plusieurs démarches pour trouver un autobus qui puisse nous mener dans une Nairobi congestionnée) pour le Ohuru Parc, qui veut dire « parc de la liberté », haut lieu de l’indépendance du Kenya réalisée en 1963. Sur place, à la cérémonie d’ouverture du FSM, Jean-François a eu l’impression d’un grand party de la Saint-Jean, version internationale. Nous y avons vu des danses africaines, écouté des chants dans plusieurs langues, des poèmes enflammés et des discours plus que militants. Nous avons entendu des dizaines de slogans regroupant un grand nombre de propositions altermondialistes (éducation gratuite, Bush le terroriste, fin de la Banque mondiale, abat la pauvreté, etc.). Au rythme des « viva » et des « foward », une atmosphère extraordinaire de fête régnait dans une foule majoritairement composée de Kenyans et d’Africains (plus de 75% des participants du Forum). Cette fête marquait pour nous tout autant l’ouverture du Forum social mondial que la clôture de notre forum de théologie. Comme nous avons travaillé 10 à 12 heures par jour durant celui-ci, nous avons vécu cette ouverture comme une occasion de célébrer et de décrocher un peu. Nous serons prêt, demain, pour affronter la journée d’ateliers ! Avec grande difficulté, nous nous sommes procurés un catalogue du FSM : un vrai journal de Montréal contenant plus de 1200 ateliers !!! Difficile d’en choisir 12 pour 3 jours !
Nous trouvons extraordinaire de sentir toute cette solidarité dans l’air, une force dans la volonté de changement. Paradoxalement, cette force de la solidarité nous paraît bien fragile : dans un mouvement d’ensemble appelant à un monde meilleur, que nous désirons aussi, il semble y avoir une forte polarisation des positions contre les Bush et compagnie, une polarisation qui s’exprime trop souvent dans un langage guerrier (ennemi, mal, guerre, bataille, victoire) qui reprend exactement la rhétorique de ce qu’il dénonce. Ce genre de rencontre amène aussi son lot de grâces : Michaël et Jean-François ont rencontré par hasard une femme kenyane, une musulmane au visage voilé. Pour la plupart des Québécois, ce voile aurait été l’image de la femme niée, invisibilisée. Pourtant, cette femme travaille depuis des années dans un centre pour femmes et enfants violentées. Dans sa défense en faveur des femmes et des enfants contre le pouvoir masculin et patriarcal (particulièrement policier qui défend les hommes) elle a été mise en prison à 2 reprises. Revêtir le voile est pour elle un symbole de liberté et de foi, même de résistance à l’assimilante culture vestimentaire occidentale. Derrière ce voile, il y avait une femme si souriante, si belle! De quoi questionner notre vision occidentale de la femme voilée.
Un autre de ces moments de grâce a été, toujours pour Jean-François, la rencontre dans le marché d’une religieuse qui n’a rien en commun avec les riches communautés qui vivent autour de notre pension. Sollicité de toutes parts par les vendeurs, il raconte :
Soudain, je me retrouve face à un étalage de beaux objets dont un qui me plairait beaucoup pour un cadeau. La vendeuse est très discrète, très respectueuse. Je me penche vers elle. J’achète quelque chose et pendant qu’elle fait un ajustement sur l’objet, nous poursuivons notre conversation. Je lui parle du Québec, de la Conquête britannique, et elle sourit quand je lui dis que cela nous fait un point en commun. Puis elle me présente sa voisine, « She speaks French ». Une vieille dame, une blanche très âgée, accroupie par terre comme les autres face à ses objets. Elle est française, vivant au Kenya depuis les années 50, c’est une Petite Fille de Jésus : elle vend des choses pour faire vivre sa communauté. On est loin des fastueuses résidences de congrégations de Langata Road où je loge! C’était bien la dernière rencontre que je m’attendais à faire. Je passe du côté des vendeuses, sous les ombrelles, et nous conversons. Cette rencontre me touche beaucoup, les deux dégagent paix et complicité, peut-être prière aussi. En quittant, je donne à la vendeuse le double du prix demandé. « This is for my daughter, which is a nice person, like you. » Je me fais prendre en photo avec elle, elle me donne son adresse postale car elle aimerait que je lui envoie la photographie.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire