mardi 1 novembre 2005

Quand des femmes, des pauvres et… des étudiants s’emparent de la théologie! Regard sur les théologies contextuelles


Ce texte, que je devais initialement publier avec mon amie Annie-Claudine, je l'ai finalement publié seul dans la revue Dire de novembre 2005 (vol. 15, no. 1, p. 41-44). Panorama du travail et de la foi de toutes ces femmes et ces hommes qui font de la théologie à partir de leur contexte, en résistant aux discours "rouleau-compresseur" de certaines instances officielles comme la Curie romaine et divers groupes fondamentalistes, je leur dédie ce texte (1).

Peut-on allier la théologie chrétienne catholique et le politique? Spontanément, la majorité des gens répondront non et l’histoire leur donne bien raison! En effet, l’alliance du trône et de l’autel a engendré bien plus de guerres saintes et de chasses aux sorcières que de paix. Cela est d’autant plus vrai que lorsque la théologie entre en relation avec le politique, elle semble avoir développée la fâcheuse habitude de vouloir le dominer, lui imposer ses réponses, l’utiliser à ses propres fins, quand elle ne cherche pas carrément à instaurer une théocratie. À ce chapitre, les chrétiens évangéliques aux États-Unis et l’Opus Dei en Espagne (2) en sont de frappants exemples. Ce faisant, la théologie rime essentiellement avec pouvoir, hiérarchie et domination.

Par conséquent, peut-on imaginer un discours théologique qui soit autre qu’impérialiste et le produit d’une élite? Une théologie peut-elle entrer en relation avec une société donnée sans la dominer, sans vouloir la transformer à l’image de ses institutions, souvent cléricales et misogynes, mais en l’intégrant de manière créatrice comme le levain dans la pâte? Ce discours peut-il naître de la base et même de ceux que l’institution catholique marginalise? C’est ce que tente de faire les théologies contextuelles qu’elles soient latino-américaines, africaines, asiatiques, féministes, gais ou même étudiantes.

La genèse des théologies contextuelles
Avant même de parler de théologies contextuelles, il importe de mentionner qu’en théologie, comme partout en sciences humaines, il existe une pluralité d’écoles ainsi qu’une kyrielle d’approches et de discours différents sur Dieu. Se côtoient de nos jours la théologie patristique (3), thomiste (4), naturelle (5), transcendantale (6), institutionnelle (ou de la foi) (7) et politique, pour ne nommer que les principales. Parmi ces écoles, les théologies politiques font classe à part. Nées en Europe dans les années soixante, particulièrement sous la plume des théologiens allemands Jean-Baptiste Metz et Jürgen Moltman (8), ces théologies ont pour préoccupation première la société civile comme lieu théologique, c’est-à-dire comme lieu où agit Dieu et où se joue le combat pour l’avènement du Règne de Dieu (9). Or, plutôt que de spéculer sur la nature divine, les vertus théologales et le sexe des anges, les premiers théologiens politiques cherchèrent à construire un pont entre le théologique et le politique : la théologie s’ouvre alors au monde et se laisse interpeller par les problèmes de son temps (athéisme, guerre, pauvreté, etc.). Mieux encore : cette théologie se met à l’écoute des signes des temps, les grands événements contemporains interpellants, pour élaborer son discours et construire sa pratique ecclésiale.

Néanmoins, dans sa forme européenne, les théologies politiques demeurent abstraites. C’est en Amérique latine, par la théologie de la libération, que les théologies politiques s’incarnent concrètement pour la première fois à la fin des années soixante. Cette théologie s’adresse d’abord aux « non-personnes », en l’occurrence les pauvres d’Amérique latine à qui l’on refuse le statut de sujet, et, comme le dit son nom, elle vise leur « libération ». En plus d’être pratique et à taille humaine, cette théologie est communautaire : les croyants se regroupent en communautés de base, lisent la Bible ensemble et essaient d’y trouver un sens, une libération. Deux textes deviennent alors une référence : la sortie d’Égypte du peuple d’Israël que YHWH libère de l’esclavage (cf. Ex 14-15) et l’agir de Jésus en faveur des pauvres, des malades, et des femmes (e.g. Mt 11,19, Lc 6, 20, Lc 8,1-3). Ce faisant, la Bible un instrument de libération pour les pauvres alors qu’elle a été si souvent une arme de domination politique et ecclésiale. Gustavo Gutierrez (10) est l’un des premiers théologiens à jeter les bases de cette théologie et de « sa « marque de commerce » : l’option préférentielle pour les pauvres. Cette expression signifie que Dieu est « du côté » des pauvres et qu’il lit l’histoire non du côté des puissants mais de celui des perdants. De la même manière, pour qu’il n’y ait pas d’exclus, la théologie de la libération propose de bâtir un monde humain à partir des préoccupations des pauvres afin que personne ne soit oublié.

C’est dans la foulée de cette théologie que s’élabore la théologie féministe, deuxième grande avenue des théologies politiques appelées à devenir les « théologies » contextuelles à mesure qu’elles se répandent aux quatre coins du monde. Née au cœur du militantisme féministe des années soixante-dix, cette théologie vise l’émancipation des corps et des esprits soumis et violés des femmes, tout comme la libération des structures patriarcales. En réaction à la « fra-ternité » et un discours théologique tenu uniquement par des hommes, ces femmes s’efforcent de vivre la « sororité » et échafaudent un nouveau discours théologique. Elles se réapproprient Dieu en le nommant Dieue (11). À la trinité traditionnelle constituée du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, elle élabore une trinité féminine composée de la Mère, de Christa (féminisation du vocable Christ) et de Sophia (de la figure féminine de la Sagesse dans la Bible). Elles relisent aussi les textes bibliques en y discernant les structures asservissantes du patriarcat. Dans la vie prophétique de Jésus, elles relisent leur propre expérience. Par exemple, elles font le parallèle entre la crucifixion et le viol. Ou encore, elle considère la dernière Cène comme un rassemblement central qui ne pourra véritablement devenir « repas du Seigneur » que lorsqu’il n’y aura plus d’exclu(es) autour de la table et d’affamé(e)s sur terre. Ce faisant, la théologie féministe se pratique de manière communautaire et vise un véritable changement tant des croyantes elle-mêmes que de la société. Elisabeth Schüssler Fiorenza fut l’une des premières théologiennes à synthétise cette approche. (12)

L’éclosion de ces deux théologies amène par la suite un véritable pullulement des théologies contextuelles. On retrouve aujourd’hui en Afrique une théologie de la libération, tout comme une théologie de l'inculturation et une théologie de la reconstruction. En Asie, s’est levé en Inde, au Sri Lanka et particulièrement aux Philippines une « théologie de la lutte ». De même, aux États-Unis est apparue une théologie féministe afro-américaine, la Black theology, tout comme une théologie gaie. (13)

Définition des théologies contextuelles
En somme, les théologies contextuelles portent bien leur nom : elles émanent d’un contexte donné (d’une communauté humaine ou d’un groupe précis avec ses problèmes) et tentent de répondre aux questions de cette communauté contextuelle à partir de la tradition chrétienne pour ensuite développer une vision de Dieu et un agir (voire une éthique) cohérents pour ce milieu. Le point de départ de ces théologies est donc le sujet subalterne, déconsidéré, dénié, exploité et le discours théologique qu’elles élaborent s’efforce lui-même d’être libérateur, et non dominateur, à l’exemple de la pratique de Jésus. Ces théologies sont donc éminemment politiques au sens où elles sont imprégnés d’un contexte, celui d’individu précis et qu’elles visent un agir transformateur (souvent même structurel) dans un milieu donné. De plus, ces théologies n’ont pas la prétention d’être « immuables et éternelles » comme la théologie institutionnelle ou la théologie de Bush (qui à sa manière est pourtant on ne peut plus contextuelle!). Elles ne s’appliquent au contraire qu’à la communauté et au contexte socio-politique où elle a été élaboré. Par exemple, les théologiennes féministes ne veulent pas imposer à tous « Dieue ». Il s’agit d’une manière de nommer Dieu valide pour une communauté donnée. De même, la théologie de la lutte philippique n’est pas applicable à la théologie gaie!

La théologie contextuelle à l’Université de Montréal
Si chaque contexte et chaque communauté peut élaborer sa théologie à partir des sources chrétiennes, qu’en est-il de la théologie contextuelle à l’Université de Montréal? Voilà maintenant deux ans, un Centre de théologie et d’éthique contextuelle québécoise a été fondé à la Faculté de théologie et de sciences des religions. S’y côtoient professeurs, étudiants et praticiens aux contextes multiples qui tentent ensembles d’élaborer une théologie contextuelle à partir des enjeux sociaux d’ici. Cette conception se fait non seulement au sein des groupes de recherche, mais aussi dans la vie quotidienne. La meilleure illustration de ce phénomène est sans doute l’accent très « contextuel » que prend l’Association étudiante de théologie et de sciences des religions quand il s’agit de militer comme elle l’a fait à l’hiver 2005 lors de la grève étudiante : en plein vendredi saint, les étudiants choisirent d’organiser une actualisation du chemin de croix (cf. Mt 27 et parallèles) en faisant le parallèle entre la crucifixion de Jésus et les coupures gouvernementales dans le régime des prêts et bourses. (14)

Les limites et les ratés des théologies contextuelles
Si les théologies contextuelles ont connu de grands succès, force est de reconnaître aussi leurs limites. Le meilleur exemple est sans doute celui de la théologie de la libération latino-américaine qui a connu au cours des trente dernières années plus que son lot de morts et qui fut à deux reprises l’objet des réprimandes du Saint-Siège qui craignait que les idées marxistes véhiculées par la théologie de libération n’incitent à l’athéisme et à la violence, tout en occultant la notion de péché personnel au seul profit des péchés structurels (15). Inévitablement, lorsqu’il est poussé à sa limite, le mélange de la foi au politique ouvre deux voies radicales et opposées : le martyre et la révolution. L’assassinat de Mgr Oscar Romero par les autorités militaires du El Salvador en 1980 est un bon exemple de martyre au nom d’une fidélité évangélique et d’une option pour les pauvres sans concession. De même, dans les années 1970-80, des centaines de prêtres, de religieux(ses) et de catéchistes taxés de « subversifs communistes » sont éliminés en Amérique latine pour s’être opposés pacifiquement aux dictatures en place. L’autre extrême auquel peut mener une théologie politique est celui de la révolution : perdant de vue la prédication pacifiste de Jésus, certains chrétiens, et même des prêtres, décidèrent de prendre les armes. Ce fut notamment le cas au Nicaragua, au Salvador, au Guatemala entre 1970 et 80, alors que ces guérilleros virent la lutte révolutionnaire comme étant une exigence chrétienne dans un contexte d'oppression et de répression de la part des puissances politiques.

En conclusion, la théologie et le politique peuvent-ils faire bon ménage ? L’exemple des théologies contextuelles montre bien qu’il est nécessaire que la théologie parte du point de vue des exclus pour prendre tout son sens et lutter contre les injustices de ce monde. Cependant, cet exemple montre aussi les limites et les dangers d’un mélange radical du politique et du religieux, mélange qui risque de déborder en violence. En fait, si la théologie chrétienne se doit d’être politique, il importe qu’elle le soit sans cesse dans un rapport herméneutique intense avec la prédication pacifiste de Jésus, tout en se souvenant que son fondement n’est nul autre que le retour à la vie d’une victime condamnée à mort par un régime politique donné il y a 2000 ans. Qui se souvient du Crucifié comprend qu’il y a déjà eu trop de victimes sur cette terre et s’engage résolution dans un agir politique qui donne la vie.

NOTES

(1) Je dédie tout particulièrement ce texte à Annie-Claudine Tremblay (http://theolimites.blogspot.com), notre théologienne «freak» de l'Université de Montréal !

(2) Pour approfondir le rapport fascinant que développent les chrétiens évangéliques étasuniens et les membres de l’Opus Dei avec le politique, voir le dernier numéro de la revue Scriptura : Nouvelle série « L’impérialisme : en foi de quoi? » (vol. 6, no. 1, 2004).

(3) Théologie élaborée par les premiers théologiens du christianisme, les Pères de l’Église, du Ier au VIIIe siècle.

(4) École de théologie reprenant intégralement la Somme théologique écrite par Thomas d’Aquin au XIIIe comme référence fondamentale. Jusqu’au concile Vatican II (1962-65), l’étude de saint Thomas était presque uniquement la seule façon de faire de la théologie et l’étude et l’enseignement de la théologie était un acte clérical.

(5) Théologie qui spécule sur Dieu sans recourir à la Bible, mais seulement à la raison, donc à la philosophie ou aux sciences pures, particulièrement la physique.

(6) Mouvement théologique, dans la foulée du jésuite allemand Karl Rahner (1904-1984), fortement inspirée de l’existentialisme (particulièrement de Martin Heidegger).

(7) C’est la théologie « officielle » de l’institution catholique, celle des encycliques du pape, du Cathéchisme de l’Église catholique et du Code de droit canonique. Jean-Paul II a tout spécialement contribué au durcissement et à « l’immuabilité » de cette théologie.

(8) J.-B. METZ, J. MOLTMANN & W. OELMÜLLER, Kirche im Prozess der Aufklärung, Aspekte einer neuen "politischen Theologie", München, Kaiser, 1970. Par la suite, l’ouvrage de METZ, Glaube in Geschichte und Gesellschaft : Studien zu einer praktischen Fundamentaltheologie, Mainz, M. Grünewald, 1977, s’est imposé comme une référence.

(9) La notion de Royaume ou de Règne de Dieu a été interprété de multiples façons au de l’histoire. D’un point de vue biblique, cette formule remonte au peuple juif du qui attendait un messie politique pour le libérer de l’occupant (qu’il soit Assyrien, Babylonien, Perse, Grec ou Romain). Jésus emploie l’expression à son compte en présentant le royaume de Dieu comme présent et à venir. L’élément essentiel pour participer à ce Royaume est la conversion (le retournement intérieur) : mettre sa foi en Dieu comme en un père aimant, (cf. Mc 14,36), ne pas rendre le mal pour le mal en refusant le cercle vicieux de la violence (cf. Mt 5,38-42), aimer ses ennemis (cf. Mt 5,43-44). (Voir Raymund SCHWAGER, Jesus in the Drama of Salvation: toward a Biblical Doctrine of Redemption, New York, Crossroad, 1999, pp. 36-43.)

(10) G. GUTIERREZ, Teología de la liberacíon ; perspectivas, Lima, CEP, Lima, 1971.

(11) E. A. JOHNSON, Dieu au-delà du masculin et du féminin, Traduit de l’anglais par Pierrot Lambert, Paris, Éditions du Cerf, Montréal, Éditions Pauline, 1999.

(12) E.S. FIORENZA, In memory of her: a feminist theological reconstruction of Christian origins, New York, Crossroad, , 1983.

(13) CETECQ, « La tradition internationale, locale et facultaire des théologies contextuelles » dans Textes de fondation, Université de Montréal, Montréal, 2004, pp. 1-2.

(14) Une telle manifestation théologique n’eut d’ailleurs pas lieu sans frapper l’imaginaire médiatique : Radio-Canada, LCN, TVA, TQS, Global TV, Cyberpresse, Le Devoir, La Presse, The Gazette, le Journal de Montréal et même The Globe and Mail ont couvert avec grand faste l’événement dans les manchettes du 25 et du 26 mars 2005.

(15) CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, « Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération » [en latin : Libertatis nuntius], Documentation Catholique, n° 1881, 1984, pp. 890-900, et « Instruction sur la liberté chrétienne et la libération » [en latin : Libertatis conscientia], Documentation Catholique, n° 1916, 1986, pp. 393-411.

jeudi 1 septembre 2005

Les jeunes et les adeptes du dimanche : le choc des cultures





Ce texte que j'ai coécrit avec Charlotte Marguerite Debunne est paru en septembre 2005 dans la revue Liturgie, foi et culture (vol. 39, #182, p. 12-15). Le numéro en question portait sur l'avenir de l'eucharistie (what a mass!).








Provocatrices, voire choquantes ces images ? Ces deux publicités sont pourtant l’apanage de notre quotidien. On les retrouvait, côte-à-côte, la sainte famille et les condoms, dans le métro de Montréal en novembre dernier. Ces images sont celles de notre société, elles nous forgent, elles façonnent notre manière de lire et de vivre le présent. Pendant un instant, comparez ces deux images… D’un côté, les couleurs vives sur fond blanc, le plaisir, l’intelligence, l’imagination, la liberté de choisir et de s’exprimer ; de l’autre, les couleurs sombres sur fond noir, la tradition, l’autorité familiale, les valeurs, l’argent collecté. Opposition déconcertante lorsqu’on y porte sérieusement attention !

Où sont les jeunes le dimanche ?
Le contraste violent entre ces deux publicités illustrent bien celui qui existe entre l’univers des jeunes adultes et celui du rassemblement dominical : les deux sont aux antipodes ! Bien des jeunes regardent cette pratique comme archaïque, alors que les adeptes du dimanche considère la jeunesse comme excentrique ! C’est le choc des cultures : entre le monde ambiant qui mise sur la consommation, le divertissement et le bien-être dans son petit chez soi, et les dimanches matin en compagnie d’une assemblée fréquemment du troisième âge, le fossé est large ! À la lumière de ce contraste, il est possible de rendre compte et de comprendre les raisons derrière l’absentéisme dominical des jeunes adultes.

Ils n’ont pas le temps…
Nous exigeons tellement des jeunes de nos jours… Ils doivent être brillants, performant et trouver un bon métier. Si l’on prend seulement l’exemple des étudiants, étudier ne suffit pas mais il leur faut aussi travailler pour payer leurs études. Aux frais de scolarité s’ajoutent aussi le loyer, l’épicerie, l’électricité, le téléphone et tous les autres « suppléments vitaux » tels le cinéma, le restaurant, la connexion Internet, le câble, la voiture, les sorties, les livres, les voyages, et autres ! Vous croyez peut-être que parler de « suppléments vitaux » est ironique, néanmoins, dans une société néolibérale à l’ère du loisir, pour être considéré comme un individu à part entière, il faut consommer et s’amuser. Incontestablement, il s’agit d’un cercle vicieux puisque les minimums vitaux ne font que varier selon l’âge et le statut social, les frais universitaires n’étant remplacés que par l’hypothèque.
À tous, le temps finit alors par manquer. « Time is money. » dit l’adage du businessman. Les jeunes, comme la plupart de nos concitoyens, sont endettés, ils manquent d’argent malgré Visa et Master Card. Alors, ils essaient d’en trouver en travaillant des heures de fous. S’ils ne travaillent pas le dimanche, ils travaillent toute la semaine et n’ont qu’envie de se reposer le jour du Seigneur venu et de rattraper tout ce qu’ils n’ont pas eu le temps de faire. En somme, le régime de vie que prône notre société de consommation laisse peu de temps pour la vie spirituelle…

L’eucharistie n’est plus ni lieu d’action, ni lieu de grâce
Notre monde est celui de l’action et du concret. Tout nous est retransmis en direct : il suffit de cliquer ou de zapper. D’ailleurs, le Québécois moyen passe pas moins de trente heures par semaine devant son petit-écran [i] ! Au cœur de cette vie vécue à haute-vitesse, que peut apporter la messe à nos contemporains ? A-t-elle une portée concrète sur leur quotidien ou apparaît-elle comme désincarnée ? Que peut apporter le ministre ordonné, figure d’une autorité révolue pour la majorité, à ces jeunes qui, de leurs écrans, ont accès à des milliers d’exégètes séculiers (journalistes, politologues, psychologues, sexologues et sociologues) ? Pourquoi se rendre dans un temple qui, par sa seule architecture, semble fixé au début du siècle passé alors que seul le présent s’offre comme lieu d’action ? Si les jeunes ne se déplacent pas pour voter, pourquoi auraient-ils plus confiance en une institution nommée Église ? Son pape, même malade, vit dans un luxueux palais à Rome. À bien des égards, le pauvre Dalaï Lama en exil semble bien plus cohérent que cet homme aux positions souvent taxées de « misogynes » et d’ « homophobes »… Malheureusement, l’image sombre du panneau publicitaire ci-haut affiché semble encore nous rattraper ! L’Église et son rassemblement dominical n’apparaissent être ni lieu de grâce ni lieu d’action, donc encore moins d’action de grâce. Autant dire qu’entre le quotidien de la jeunesse et la communauté chrétienne, les ponts sont coupés.

L’assemblée dominicale n’est plus lieu de communion
Théologiquement, c’est par l’eucharistie, par la communion, que nous devenons corps ecclésial, Corps du Christ. Paradoxe intéressant : depuis le secondaire, les cours de Formation personnelle et sociale répètent aux gens de notre génération que faire l’amour est l’ultime communion. À la télévision, dans les revues, sur Internet : même message. Combien de Nord Américains ont suivi avec passion la série télévisée Sex in the City qui présente la vie sexuelle de jeunes professionnelles plutôt « prédatrices » comme modèle d’accomplissement personnel ? Ainsi donc, ce qui est qualifié d’impureté, de « fornication », voire de péché grave par le magistère de l’Église est considéré comme idéal de communion dans les valeurs transmises aux jeunes ! Ainsi, que veut signifier notre Église lorsqu’elle exclue, à tout le moins dans ses textes officiels, l’accès à la table eucharistique à ceux qui pratique ce qu’ont leur a enseigné comme « modèle de communion » ? Cette exclusion potentielle ne touche pas moins de 75% des 18-24 ans [ii] ! Mais au-delà de la sexualité, la question de la communion touche une fibre encore plus profonde : de quelle communion peut-on parler face à une communauté chrétienne (chacun dans son banc aux quatre coins de l’église) aussi éclatée que le sont les familles monoparentales dont sont issus plus de 50% des jeunes ? En plus de s’opposer à l’idéal de la communion socialement transmis à bien des jeunes, la communauté chrétienne incarne une communion bien maigre face à une jeunesse individualiste qui se retrouve spontanément dans sa communauté d’amis, sa « gang », plutôt que dans les communautés traditionnelles.

Le dimanche : plus nécessaire que jamais !
Force est d’admettre que si les jeunes n’y sont plus le dimanche, c’est sans doute parce que le rassemblement dominical ne coïncide plus avec leurs attentes, leurs disponibilités et leur culture. Pourtant, ils vivent une quête de communion, se questionnent sur leur vie et recherchent une action cohérente, ils ont besoin de reprendre leur souffle et de repartir avec un Souffle nouveau. Le sabbat n’est pas mort : cependant on le recherche beaucoup plus qu’on le vit. De nouveaux lieux, adaptés à une nouvelle culture, et pourtant gonflés de l’Évangile, sont à créer.

[i] Michel LEMIEUX, La télé cannibale, Montréal, Éditions Écosociété, 2004.
[ii] Silvia GALIPEAU, « L'amour avec un grand A » dans La Presse, 12/09/2004, p. A6