jeudi 1 septembre 2005

Les jeunes et les adeptes du dimanche : le choc des cultures





Ce texte que j'ai coécrit avec Charlotte Marguerite Debunne est paru en septembre 2005 dans la revue Liturgie, foi et culture (vol. 39, #182, p. 12-15). Le numéro en question portait sur l'avenir de l'eucharistie (what a mass!).








Provocatrices, voire choquantes ces images ? Ces deux publicités sont pourtant l’apanage de notre quotidien. On les retrouvait, côte-à-côte, la sainte famille et les condoms, dans le métro de Montréal en novembre dernier. Ces images sont celles de notre société, elles nous forgent, elles façonnent notre manière de lire et de vivre le présent. Pendant un instant, comparez ces deux images… D’un côté, les couleurs vives sur fond blanc, le plaisir, l’intelligence, l’imagination, la liberté de choisir et de s’exprimer ; de l’autre, les couleurs sombres sur fond noir, la tradition, l’autorité familiale, les valeurs, l’argent collecté. Opposition déconcertante lorsqu’on y porte sérieusement attention !

Où sont les jeunes le dimanche ?
Le contraste violent entre ces deux publicités illustrent bien celui qui existe entre l’univers des jeunes adultes et celui du rassemblement dominical : les deux sont aux antipodes ! Bien des jeunes regardent cette pratique comme archaïque, alors que les adeptes du dimanche considère la jeunesse comme excentrique ! C’est le choc des cultures : entre le monde ambiant qui mise sur la consommation, le divertissement et le bien-être dans son petit chez soi, et les dimanches matin en compagnie d’une assemblée fréquemment du troisième âge, le fossé est large ! À la lumière de ce contraste, il est possible de rendre compte et de comprendre les raisons derrière l’absentéisme dominical des jeunes adultes.

Ils n’ont pas le temps…
Nous exigeons tellement des jeunes de nos jours… Ils doivent être brillants, performant et trouver un bon métier. Si l’on prend seulement l’exemple des étudiants, étudier ne suffit pas mais il leur faut aussi travailler pour payer leurs études. Aux frais de scolarité s’ajoutent aussi le loyer, l’épicerie, l’électricité, le téléphone et tous les autres « suppléments vitaux » tels le cinéma, le restaurant, la connexion Internet, le câble, la voiture, les sorties, les livres, les voyages, et autres ! Vous croyez peut-être que parler de « suppléments vitaux » est ironique, néanmoins, dans une société néolibérale à l’ère du loisir, pour être considéré comme un individu à part entière, il faut consommer et s’amuser. Incontestablement, il s’agit d’un cercle vicieux puisque les minimums vitaux ne font que varier selon l’âge et le statut social, les frais universitaires n’étant remplacés que par l’hypothèque.
À tous, le temps finit alors par manquer. « Time is money. » dit l’adage du businessman. Les jeunes, comme la plupart de nos concitoyens, sont endettés, ils manquent d’argent malgré Visa et Master Card. Alors, ils essaient d’en trouver en travaillant des heures de fous. S’ils ne travaillent pas le dimanche, ils travaillent toute la semaine et n’ont qu’envie de se reposer le jour du Seigneur venu et de rattraper tout ce qu’ils n’ont pas eu le temps de faire. En somme, le régime de vie que prône notre société de consommation laisse peu de temps pour la vie spirituelle…

L’eucharistie n’est plus ni lieu d’action, ni lieu de grâce
Notre monde est celui de l’action et du concret. Tout nous est retransmis en direct : il suffit de cliquer ou de zapper. D’ailleurs, le Québécois moyen passe pas moins de trente heures par semaine devant son petit-écran [i] ! Au cœur de cette vie vécue à haute-vitesse, que peut apporter la messe à nos contemporains ? A-t-elle une portée concrète sur leur quotidien ou apparaît-elle comme désincarnée ? Que peut apporter le ministre ordonné, figure d’une autorité révolue pour la majorité, à ces jeunes qui, de leurs écrans, ont accès à des milliers d’exégètes séculiers (journalistes, politologues, psychologues, sexologues et sociologues) ? Pourquoi se rendre dans un temple qui, par sa seule architecture, semble fixé au début du siècle passé alors que seul le présent s’offre comme lieu d’action ? Si les jeunes ne se déplacent pas pour voter, pourquoi auraient-ils plus confiance en une institution nommée Église ? Son pape, même malade, vit dans un luxueux palais à Rome. À bien des égards, le pauvre Dalaï Lama en exil semble bien plus cohérent que cet homme aux positions souvent taxées de « misogynes » et d’ « homophobes »… Malheureusement, l’image sombre du panneau publicitaire ci-haut affiché semble encore nous rattraper ! L’Église et son rassemblement dominical n’apparaissent être ni lieu de grâce ni lieu d’action, donc encore moins d’action de grâce. Autant dire qu’entre le quotidien de la jeunesse et la communauté chrétienne, les ponts sont coupés.

L’assemblée dominicale n’est plus lieu de communion
Théologiquement, c’est par l’eucharistie, par la communion, que nous devenons corps ecclésial, Corps du Christ. Paradoxe intéressant : depuis le secondaire, les cours de Formation personnelle et sociale répètent aux gens de notre génération que faire l’amour est l’ultime communion. À la télévision, dans les revues, sur Internet : même message. Combien de Nord Américains ont suivi avec passion la série télévisée Sex in the City qui présente la vie sexuelle de jeunes professionnelles plutôt « prédatrices » comme modèle d’accomplissement personnel ? Ainsi donc, ce qui est qualifié d’impureté, de « fornication », voire de péché grave par le magistère de l’Église est considéré comme idéal de communion dans les valeurs transmises aux jeunes ! Ainsi, que veut signifier notre Église lorsqu’elle exclue, à tout le moins dans ses textes officiels, l’accès à la table eucharistique à ceux qui pratique ce qu’ont leur a enseigné comme « modèle de communion » ? Cette exclusion potentielle ne touche pas moins de 75% des 18-24 ans [ii] ! Mais au-delà de la sexualité, la question de la communion touche une fibre encore plus profonde : de quelle communion peut-on parler face à une communauté chrétienne (chacun dans son banc aux quatre coins de l’église) aussi éclatée que le sont les familles monoparentales dont sont issus plus de 50% des jeunes ? En plus de s’opposer à l’idéal de la communion socialement transmis à bien des jeunes, la communauté chrétienne incarne une communion bien maigre face à une jeunesse individualiste qui se retrouve spontanément dans sa communauté d’amis, sa « gang », plutôt que dans les communautés traditionnelles.

Le dimanche : plus nécessaire que jamais !
Force est d’admettre que si les jeunes n’y sont plus le dimanche, c’est sans doute parce que le rassemblement dominical ne coïncide plus avec leurs attentes, leurs disponibilités et leur culture. Pourtant, ils vivent une quête de communion, se questionnent sur leur vie et recherchent une action cohérente, ils ont besoin de reprendre leur souffle et de repartir avec un Souffle nouveau. Le sabbat n’est pas mort : cependant on le recherche beaucoup plus qu’on le vit. De nouveaux lieux, adaptés à une nouvelle culture, et pourtant gonflés de l’Évangile, sont à créer.

[i] Michel LEMIEUX, La télé cannibale, Montréal, Éditions Écosociété, 2004.
[ii] Silvia GALIPEAU, « L'amour avec un grand A » dans La Presse, 12/09/2004, p. A6