lundi 22 janvier 2007

Les peuples autochtones : architectes d’un autre monde possible face à la catastrophe occidentale

Comme le disait Angela hier, il n’est pas facile de rendre compte de l’expérience à la fois si riche et si contradictoire du Forum social mondial. Ici, la lutte contre l’Empire et les infrastructures impériales cohabitent dans une déchirante tension. Un exemple : alors que se rassemblent les groupes qui luttent contre coca-cola, on nous vend partout sur le site de l’eau mise en bouteille par l’une de ses filiales. Au FSM existe aussi la discrimination économique : je peux acheter ma banane pour 5 Ksh à l’extérieur du site, sur place pour 10 Ksh d’un marchand itinérant ou bien pour 50 Ksh dans la tente de la succursale kenyane de la multinationale Resort Inn présente sur place. Pire encore, alors que l’on parle de la Terre-mère et d’écologie toute la journée, le soir venu, il y a des amoncellements de déchets partout sur le site puisqu’il n’y a pas de poubelles nulle part !

Pas facile d’assumer sa position paradoxale. À ce propos, un atelier donné par le groupe International Feminists for a Gift Economy (www.gift-economy.com) auquel j’ai assisté sous le thème « Capitalisme patriarcal, (néo)colonialisme et les dons alternatifs féministes : femmes, nature et cultures indigènes » ouvre de riches voies. Un constat initial : le marché patriarcal néolibéral est un système parricide, infanticide et environementicide qui reproduit la domination patriarcale mortifère. Autrement dit :

Développement économique = vol, oppression et destruction

Les paroles d’une courageuse militante péruvienne de culture indigène quéchouanne étaient sans ambages à ce propos :
Ø Les biotechnologies entraînent la disparition des méthodes traditionnelles de chasse, de pêche et de culture des herbes médicinales de son peuple (des médecines combien de fois plus éprouvées que les nôtres !).
Ø Le « développement durable » n’est qu’une autre stratégie pour voler les dernières terres encore vierges à son peuple en créant des réserves nationales une fois que les colonisateurs d’hier et d’aujourd’hui ont rendu les autres infertiles.
Ø Le biotourisme n’est qu’une façon de plus d’exploiter ces terres « réservées » en donnant bonne conscience aux touristes occidentaux, tout en dépossédant ceux qui les occupent depuis des siècles, détruisant leurs cultures du même coup, au nom de la croissance économique qu’il ne faut surtout pas freiner.
Ø Les changements climatiques, notamment la baisse d’oxygène dans l’air, transforment l’environnement et la manière de vivre de son peuple, les femmes en sont les premières touchées. Kyoto est tout sauf suffisant et juste. La bourse du carbone n’est qu’un dumping écologique des pays les plus riches vers les nations qu’elles pillent et réduisent en esclavage économique (et ce malgré le 200e anniversaire de l’abolition de la traite des noirs par la Grande-Bretagne que nous commémorons cette année).

En fait, les peuples autochtones, les premières nations de nos terres colonisées et arrachées (au Québec nous avons 60 000 citoyens autochtones, 11 nations avec leurs langues et leurs cultures, que nous tuons à petit-feu avec notre politique d’apartheid), n’avaient nullement besoin de notre « développement » et de notre « civilité ». En clair, l’expansion de la civilisation occidentale et du capitalisme patriarcal est une catastrophe pour l’humanité et son environnement : aucune civilisation dans l’histoire n’a autant produit de gaspillage et d’injustices, ni séparée radicalement l’humain de la nature, ni hiérarchisée aussi intensément les vivants (femmes, enfants, esclaves, animaux) entre eux. Il faut aujourd’hui repenser en entier l’économie, la politique et les relations humaines, revoir ce système individualiste et patriarcal qui nous fragmente autant. Comme le suggérait une des panélistes, il faut élaborer une économie du don basée sur le modèle de la mère qui enfante dans la gratuité. Nous sommes tous enfants d’une mère, la Terre-mère nous a toutes engendrés. Nous sommes toutes et tous interreliées en ce monde telles des constellations. L’humain ne doit plus être uniquement un être de savoir (homo sapiens) mais un être de don (homo donors). Il nous faut élaborer une spiritualité de la Terre, il nous faut admettre notre ignorance et ses résultats terrorisants, apprendre de tous les peuples aborigènes que nous tentons depuis des siècles d’exterminer...

Dans sa folie marchande, les blancs et leurs complices sont en train d’euthanasier la planète et ses écosystèmes. Et pourtant, comme le disait une femme autochtone brésilienne, la Terre-mère sait engendrer le genre d’êtres humains dont elle a besoin et qui savent l’écouter. Aujourd’hui, au plus profond de leurs traditions et de leurs cosmologies diverses, les peuples autochtones détiennent le savoir, le Souffle et les plans nécessaires à la construction d’un autre monde possible. Les laisserons-nous en être les architectes ? Aurons-nous l’humilité d’être de simples ouvriers ?