lundi 15 janvier 2007

2,5 millions d’être humains inexistants, 2,5 millions de débrouillardises quotidiennes

Jambo rafiki ! Bonjour mon ami, en kiswahili (la deuxième langue officielle, après l’anglais, de la République du Kenya) ! Après 18 heures d’avion et d’attente aux aéroports, me voici sur cette terre d’Afrique : terre si belle avec son odeur de terre rouge, sa végétation de palmiers et d’ibiscus gorgés d’eau et de soleil, sa population belle, fière et si accueillante ! Asante sana ! Karibu ! (Merci beaucoup, je t’en prie !) En même temps, me voici sur une terre pillée de ses ressources (le pétrole, les mines, les forêts) et violée en sa chair (populations affamées, vente d’armes, trafic humain) par ma civilisation qui dit respecter les droits humains chez elle, mais les viole à l’étranger. Peau blanche au milieu de la marée noire, me voici à Nairobi, moi le descendant de colons français, le complice chez moi du génocide des 60 000 Amérindiens survivants, le complice ici d’un système économique qui tue. Me voici, descendant d’un avion blanc à 95%, parmi la cohorte de mes semblables venue se dépayser en safari, comme si les animaux et la jungle avaient plus d’intérêts que les humains d’ici. Ce soir, comment puis-je me brosser les dents et prendre ma douche alors que je sais l’eau est si précieuse ici ? Comment puis-je manger dans la joie mes bananes achetées sur le bord du chemin pour presque rien à cette femme qui n’aura peut-être pas l’essentiel pour nourrir sa famille ?

Cette femme, il est fort probable qu’elle retourne au couché du soleil à Kyvera, un immense bidonville aux portes de Nairobi où plus de 2,5 millions d’êtres humains tentent de vivre et de survivre. Je dis « êtres humains », mais je brise déjà la loi du silence : bien que ces humains comptent pour la moitié des habitants de Nairobi, leur « quartier » ne figure sur aucune carte géographique et le gouvernement kenyan n’entretient aucune relations avec eux…
Au bord de la cité, 2,5 millions d’oubliés…
Au seuil de la rutilante Nairobi, 2,5 millions d’ombres humaines tapies...
Au côté de la performante vantardise, 2,5 millions de quotidiennes débrouillardises

Me voici, le riche, devant le bidonville. J’y serai jeudi pour le visiter avec sœur Bégonias, dans le cadre du Forum théologie et libération.
Me voici, le blanc pro-occidental, au cœur d’un continent qu’on préfèrerait souvent ne pas mettre sur la carte (d’ailleurs, on n’en parle pas à l’école) comme Kyvera.
Me voici, l’intello du Nord qui ignore tout du Sud, devant la beauté du Kenya et de ses 42 communautés culturelles (que certains nomment tribus) et de leurs coutumes particulières.
Me voici, le catholique inconfortable avec son Église, devant cette Nairobi aux multiples fois : celle des hindous, des sikhs, des musulmans, des chrétiens, des bahaïs…
Me voici, être humain parmi les humains, animal parmi les lions, les éléphants, les guépards, les gazelles, les hippopotames, vivant parmi les palmiers, les sycomores, les grandes herbes et les bananiers…
Me voici, pour transformer ma honte colonialiste et mes privilèges en solidarité partagée, en espérance communautaire qui dépasse toutes les guérillas.
Me voici dès demain avec 200 femmes et hommes d’Afrique, d’Europe, des Amériques et d’Asie pour aborder les spiritualités à développer et nourrir pour un monde différent…
Me voici, dans 5 jours, avec 100 000 hommes et femmes du monde, pour poser ma pierre, dans une conscience globale, à la construction d’un autre monde possible, d’un monde paix.