jeudi 30 août 2007

Mes mots au retour de Tulkarem…

Après trois semaines de silence, je reprends ma correspondance avec vous. En fait, j’ai bien essayé de vous écrire – et j’ai même passé plusieurs heures devant mon ordinateur – mais les bons mots ne venaient pas. Il est tellement facile d’écrire sans se soucier des conséquences de ses paroles ; je voulais trouver de beaux mots, de bons mots, des mots qui construisent la paix et non des mots qui provoquent encore plus de maux. Je voulais trouver des mots plein d’amour et plein de sens, des mots qui tremblent à l’occasion, des mots qui n’ont pas peur de dire la vérité, mais qui en même temps respectent la dignité de ceux qui les vivent. Pour les trouver, il m’a fallu aller à Tulkarem, au Nord de la Palestine. J’ai parlé à plein de gens, des gens du Québec, de Palestine et d’Israël afin de comprendre pourquoi mes « mots » étaient en crise. J’ai réalisé à quel point il est facile de sombrer dans l’activisme et d’y perdre ses mots parce qu’à force d’agir sans prendre vraiment le temps de réfléchir à fond, tout se met à virevolter et les mots ne produisent que du bruit.

Quelques mots sur Tulkarem
De Jérusalem, il faut environ deux heures trente et franchir cinq checkpoints (Qalandia, Atara, Za’atara, Jit et Anabta…) pour se rendre à Tulkarem. Tout au long du trajet, se dévoile au voyageur un paysage féerique de collines truffées d’oliviers et de routes serpentant dans les vallons. Quant à Tulkarem, il s’agit d’un gros village de 60,000 personnes typiquement palestinien ; il n’y a que deux internationaux (à part les accompagnateurs œcuméniques). Tout le monde connaît tout le monde et on ne parle que peu l’anglais. Le chant du muezzin d’une des soixante mosquées est immanquable, cinq fois par jour, à compter de 4 heures du matin. Faire son marché peut prendre une journée puisqu’il faut discuter avec tout le monde. Il est habituel de prendre le thé chez plusieurs personnes dans une même journée, surtout pour les internationaux que les gens se font un honneur d’accueillir.

Selon ce qu’on m’a raconté, Tulkarem a beaucoup changé en 20 ans, et surtout depuis construction du mur et de la barrière de sécurité en 2003 (ce que certains appellent la troisième Nakba). Avant la seconde Intifada en 2000, beaucoup d’Israéliens de Netanya (à 15 km environ) venaient magasiner à Tulkarem alors que les Tulkarémites allaient se baigner à Netanya, dans la Méditerranée. Environ 16,000 personnes, selon B’tselem, travaillaient en Israël et les liens entre Israéliens et Palestiniens étaient cordiaux. Même que la plupart des habitants de Tulkarem parlent hébreux. Aujourd’hui, seulement 1000 travailleurs tulkarémites obtiennent le permis pour aller en Israël et ils n’ont pour seule issue que le checkpoint de Ser Ephraïm (un immense terminal opéré par une firme de sécurité privée – et oui ! la privatisation est en Israël aussi !). Le tracé du mur a aussi coupé plusieurs agriculteurs de leurs terres (tout près de 20,000 danums, soit 2,000 hectares, selon le Applied Reseach Institute de Jérusalem) qu’ils ne peuvent atteindre désormais s’ils, ou leurs enfants, ne possèdent pas un permis valide. Évidemment, l’économie de la ville en a aussi pris pour son rhume avec tous ces gens au chômage et la perte des clients pour l’agriculture et l’industrie locales. Aujourd’hui, Tulkarem dépend principalement des salaires versés à la fonction publique par l’Autorité palestinienne (et donc de l’aide internationale). Le boycott du Hamas depuis janvier 2006 (dont le Canada a été le premier protagoniste) a eu des conséquences dramatiques, contribuant à un appauvrissement collectif ressenti de manière encore plus difficile dans les deux camps de réfugiés de la ville (comptant autour de 27,000 réfugiés de la guerre de 48, provenant principalement d’Haïfa).

Il serait cependant faux de n’insister que sur les difficultés de la vie à Tulkarem. Bien au contraire, tous les gens que j’y ai rencontrés et avec qui j’ai tenté d’entrer en dialogue (mon arabe limité s’améliore tranquillement, swayy, swayy !) sont d’un accueil et d’un courage fantastiques. Aujourd’hui, c’est deux histoires de courage et de persévérance malgré la peine et la souffrance que j’ai envie de vous raconter.

Six heures du matin, à la barrière agricole de Deir Ghassum
La première est celle de Khaled, un jeune agriculteur de Tulkarem. Je l’ai rencontré pour la première fois à la barrière agricole de Deir Ghassum (voir la photo ci-dessus). Tous les matins (sauf le vendredi), entre 6 heures et 7 heures, une quinzaine de bourriquots, trois ou quatre tracteurs et une centaine d’agriculteurs (ou de gens prétextant être agriculteurs et désirant aller en Israël) traversent cette barrière. Vers 6 heures se pointe la jeep militaire qui dépose à la barrière deux soldats. Dépendant des ordres, ces derniers peuvent choisir d’ouvrir directement la porte et d’inspecter, deux par deux, les permis des agriculteurs ou bien les faire passer un par un au détecteur de métal (en pleine campagne !) Après que tout le monde soit passé, ils ouvrent alors la grande porte pour laisser entrer le cortège d’ânes et de tracteurs. Le matin où j’y étais, nous avons eu droit à la grande porte. Nashkour Allah ! (Dieu merci !) Appelant les agriculteurs deux par deux, un soldat vérifie alors les papiers et inscrit tous les passants sur une liste tandis que l’autre continue à viser les gens de la pointe de sa mitrailleuse… au cas où… je ne sais trop quoi…

Or, vous comprendrez vite le gros du problème : la barrière est ouverte trois fois par jour (de 6 à 7, de 11 à 12 et de 16 à 17 heures) et pour la traverser, il faut un permis valide. Pour qui est en retard, ou si les soldats tardent, il faut attendre la prochaine ouverture de la barrière. Ou encore, sans permis valide, pas de traversée. Le matin où j’y étais, trois personnes n’ont pu la franchir : deux fils d’agriculteurs parce qu’ils n’ont pas de permis (ce n’est pas la période des récoltes car alors il y a parfois des exceptions) et l’autre parce que son permis ne lui permet de traverser que la barrière d‘Atil, deux kilomètres plus loin… On leur a tous dit d’aller au « Matak » (le bureau de coordination entre l’Autorité palestinienne et l’armée israélienne qui émet les permis). En plus de perdre une bonne partie de sa journée à attendre au Matak et de dépenser une fortune pour remplir les formulaires, un agriculteur « chanceux » obtiendra un permis pour deux ans, alors que le malchanceux (dépendant de ses antécédents et de la location de sa terre, je présume), aura à le renouveler aux trois mois, voire au mois, si le permis ne lui est pas carrément refusé pour des raisons de sécurité. Selon un Andreas Indregard leur d’UNOCHA à Naplouse il s’agit d’une lente stratégie d’annexion du territoire puisque de plus en plus d’agriculteurs abandonnent leurs terres, découragés. Or, en Israël s’applique toujours la loi ottomane sur les terres agricoles : si elle n’est pas utilisée pendant trois ans, elle devient propriété de l’État.

Pour en revenir à Khaled, la beauté de son histoire repose simplement dans sa tenace volonté de ne pas abandonner sa terre (ce qui arrive malheureusement à beaucoup). Mieux encore, ce jeune agriculteur qui parle couramment l’arabe, l’hébreu et l’anglais a décidé de se faire l’ambassadeur de ses collègues agriculteurs et de les aider dans leur lutte pour ne pas perdre leurs terres, notamment en entretenant un contact régulier avec nous. Lors de mon bref passage de trois jours à Tulkarem, j’ai eu la chance de rencontrer à deux reprises Khaled : une fois à la barrière où il nous sert souvent d’interprète et l’autre à la maison. Il était venu nous visiter avec un autre collègue agriculteur qui a d’énormes problèmes avec le renouvellement de son permis. Il voulait aussi nous parler d’un document de l’armée qu’il a reçu (et que l’ONU à Naplouse n’avait pas après vérification le lendemain !) concernant le « retraçage » de la barrière de sécurité.

Six heures du soir, au camp de réfugié de Tulkarem
Le lendemain de ma visite à la barrière agricole, mes collègues et moi sommes allés rendre visite à une famille au camp de réfugiées de Tulkarem. Escortés par une ribanbelle d’enfants scandant à qui mieux mieux des « How are you ? » et « What’s your name ? » tout en pointant les étrangers (ou les étranges !) du bout du doigt en riant. Nous avons joint la famille dans les fous rires. Après quelques minutes, une voisine a fait irruption, voyant que nous étions des étrangers et pensant que nous pouvions l’aider. Elle a commencé à nous raconter sa triste histoire en arabe, alors que Samar, notre principale partenaire à Tulkarem, nous la traduisait en anglais. Comme celui de tant de Palestiniens, ce récit est dramatique : depuis trois ans, un de ses quatre fils est en prison pour une durée totale de 6 ans. La cause ? Il a lancé des pierres aux soldats lors de la seconde Intifada. Or, la prison est située totalement au Sud du désert du Néguev, à plus de cinq heures de route de Tulkarem et naturellement, pour y aller, il faut obtenir un permis (ce qu’Israël offre rarement, pour des raisons de sécurité). Selon Noha, la coordinatrice locale de la Croix-Rouge à Tulkarem qui organise avec les familles une visite par semaine dans une prison d’Israël, il est fréquent que l’on refuse le permis aux parents. On l’accorde plutôt à un mineur, un proche du prisonnier (au petit frère ou à la petite sœur). Dans le cas d'Um Ashraf, elle a eu l’occasion de rencontrer son fils à travers une vitre crasseuse pendant une heure à quatre reprises en trois ans. Lors de ces visites exceptionnelles, le départ de Tulkarem avec l’autobus de la Croix-Rouge s’effectue à 4 heures du matin et le retour est à 23 heures.

Malheureusement, la souffrance de cette mère est loin d’être unique… Jusqu’à présent, je n’ai rencontré aucun Palestinien qui n’a pas un membre de sa famille ou une connaissance en prison. Après nous avoir raconté son histoire, Um Ashraf nous a demandé si nous pouvions l’aider puisque nous sommes des Occidentaux. Samar lui a alors répondu que nous pouvions écrire un rapport pour que plus de gens soient au courant de sa souffrance. Vous pouvez facilement imaginer à quel point je me sens ridicule dans ce genre de situation d’autant plus que les gens qui peuvent changer la situation, les « tout-puissants » qui lisent mon « rapport », c’est vous ! En fait, le plus déchirant pour moi dans l’histoire de cette femme est certainement ce sourire fier et persévérant qu’elle affiche malgré toute sa souffrance et de l’entendre dire : « Mon fils est une part de moi. Pourquoi ne viennent-ils pas m’arrêter, au moins je serais avec lui. » Au camp de Tulkarem, l’inquiétude d’une mère pour son fils est l’inquiétude de tout un camp : l’armée viendra-elle aujourd’hui, cette nuit, avec les chiens ? Qui sera arrêté, assassiné, sans procès ? Combien de mères et de pères seront privés de leurs fils ?

Un baume sur mes mots dans une cuisine israélienne
Face à tant de souffrances, mon attitude spontanée est souvent de maudire Israël, une réaction évidemment assez malsaine puisque tout Israélien devient facilement un bourreau à mes yeux et que la majorité d’entre eux sont tout aussi « puissants » que vous et moi. Une large part de mon silence des derrières semaines est justement dû au fait que je ne pouvais écrire à propos des Israéliens sans ajouter aux maux par mes mots, sans jeter de l’huile sur le feu. Hanté par la situation des agriculteurs et des prisonniers palestiniens, c’est mystérieusement en allant à un congrès quelques jours plus tard sur la militarisation et les genres, à Neve Shalom/Wahat as-salam, que mon vocabulaire paralysé (et peut-être même constipé) a retrouvé vie.

En bref, ce n’est pas tant les grandes conférences de la journée qui m’ont touché mais le contact avec une centaine d’Israéliennes (et quelques Israéliens) militant contre l’occupation, la plupart ayant été des objecteurs de conscience. Mieux encore, on m’a invité à joindre l’équipe qui préparait le souper dans la cuisine. Si au début je me sentais aussi lourd qu’une poche de patates, les trois heures de conversation en anglais et en hébreux, quelques larmes communes versées autour des oignons et surtout un cœur à cœur sur la difficulté d’être pacifiste (et même d’être en désaccord avec ses parents) dans une société qui ne conçoit sa sécurité qu’en termes militaires, m’ont fait tellement de bien. Au fond de moi, je sentais qu’entre les agriculteurs privés de leurs terres, les mères palestiniennes privées de leurs enfants emprisonnés et ces jeunes activistes plus souvent qu’autrement pointés du doigt comme des lâches ou des « self-hating Jews », il y avait une continuité. Au milieu de l’ail, des piments et des tomates, avec ces nouveaux amis israéliens, je sentais pour une des premières fois que la paix était possible, à condition que des gens de tous les milieux (des activistes israéliens, des résistants palestiniens, des étrangers préoccupés) se mettent ensemble pour la construire. Je sentais que le courage de recourir à d’autres mots, aussi simples que ceux que l’on utilise dans une cuisine, est nécessaire pour mettre fin à tant de maux.

samedi 4 août 2007

Comment ne pas perdre son âme sous l’occupation?


J’aimerais vous partager aujourd’hui toute la douleur que j’éprouve de vivre ici l’humiliation quotidienne de l’occupation avec les Palestiniens. Pourtant, je ne trouve pas les mots pour vous faire pénétrer dans ce drame que l’on cache si bien au monde derrière la façade de la « sécurité » et du « terrorisme ». Loin de moi la prétention de détenir des solutions ; je me sens plutôt perdu au milieu des check points, des routes de contournement, des couvre-feux, des colonies, du mur et des démolitions de maisons. Pourquoi tout cela ? Comment réagirais-je si l’on démolissait ma maison et que l’on m’envoyait la facture ensuite ? Si, une fois malade, on me disait d’attendre une semaine « l’invitation » d’un hôpital pour y séjourner ? À défaut de trouver mes mots, j’aimerais vous raconter deux histoires…

Une maison à Jérusalem-Est, à 10h30, un mardi matin
La première histoire est celle d’une famille de 19 personnes qui n'a pas beaucoup d'argent et qui construit une annexe au 3e étage de sa maison, tout simplement parce les parents n’ont pas les moyens de louer un appartement pour leurs enfants. Or, comme les Palestiniens peuvent très difficilement obtenir un permis de construction dans Jérusalem-Est (contrairement aux Israéliens qui construisent des colonies illégales un peu partout), la police et l'armée viennent à leur gré détruire ce qui a été construit sans permis, soit 40% des maisons. Selon Jeff Halper, le fondateur d’ICAHD, cela fait partie de la stratégie israélienne qui vise à annexer Jérusalem-Est (par le mur qui l’encercle), à la vider des Palestiniens (par la destruction de maisons) et à la judaïser (par la construction de colonies). Enfin, je laisse aux universitaires-chercheurs, aux journalistes et aux politiciens débattre de cette question, mais il n’en reste pas moins qu’ici, les gens vivent une insécurité terrible. À chaque fois qu’ils quittent leur maison, ils ne sont pas sûrs qu'elle sera debout au retour et pour la plupart, c’est tout ce qu’ils ont ! Mardi matin, donc, la police a expulsé la famille David de leur logis pour en démolir le 3e étage (voir la photo). Selon un cousin avec qui nous avons discuté, deux des fils et le père ont même été envoyés à l'hôpital à la suite des blessures subies lors de l’expulsion. Mes collègues et moi avons été témoins de la démolition, dans l’impuissance, n’ayant pour seul recours que la caméra et le crayon… D’ici quelques semaines, cette famille recevra la facture pour cette démolition.


Au check point de Qalandia, à 16h30, un jeudi soir
Et l’histoire de cet homme privé de son identité. Nous venions de sortir du check point pour nous rendre à Birzeit (à quelques kilomètres de Ramallah) au moment où l’homme nous est apparu. Il était vêtu très modestement et il y avait les yeux très rouges. Il ne parlait qu’en arabe. À l’improviste, nous demandons aux gens autour de nous « tak inglisy » (vous parlez anglais ?) jusqu’à ce que nous trouvions un traducteur. On comprend alors que l’homme, Adil de son prénom, a un problème aux yeux et qu’il doit se rendre à Jérusalem pour se faire soigner. Le hic, c’est que pour traverser de la Cisjordanie à Jérusalem-Est, il faut un permis pour quiconque n’a pas de carte d’identité de Jérusalem. Comme nous l’expliquait William Hadweh, le chef des soins infirmiers à l’hôpital Augusta Victoria (voir photo), pour avoir des soins, il faut d’abord une invitation de l’hôpital puis attendre que les autorités militaires israéliennes en territoires palestiniens occupés émettent le permis (ce qui prend environ une semaine). Plutôt que d’attendre une semaine pour obtenir ce permis, Adil a choisi de sauter par-dessus le mur à Ar-Ram. Or, il s’est fait prendre. Normalement, quand quelqu’un tente d’entrer illégalement en Israël, il peut être détenu trois heures puis relâché. S’il récidive, il peut être mis en prison. Dans le cas d’Adil, les soldats ont illégalement décidé de lui confisquer sa carte d’identité, question de « jouer avec lui », selon les paroles de Tamar Avraham de Machsom Watch. On lui a alors dit d’aller récupérer sa carte au check point de Qalandia. Il était 10 heures le matin.


À 16h30 nous sommes intervenus, non pas pour que l’homme soit traité, mais pour qu’il puisse récupérer sa carte d’identité et rentrer chez lui (comme il est de Bethléem, il a besoin de sa carte d’identité pour franchir le check point dit « container », seule façon de faire le trajet Nord-Sud de Cisjordanie sans passer par la Jérusalem emmurée). Après trois heures de multiples démarches (Machsom Watch, Croix-rouge, Hamoked et ligne humanitaire de l’armée israélienne), il a fallu se rendre à l’évidence que rien ne pouvait être fait. La carte d’Adil n’était pas à Qalandia, l’armée ne la trouvait nulle part et, comme le vendredi et le samedi constituent la fin de semaine en Israël, il devait donc se rendre dimanche au bureau de l’administration militaire du district de Bethléem pour se procurer une nouvelle carte. Vous me direz : comment est-il retourné chez lui ? En faisant un grand détour par le désert pour ne croiser ni mur, ni check point, ni soldat… in sha Allah !

Apprivoiser sa souffrance et sa colère
Il y a des jours où mon cœur saigne tellement devant toute la souffrance des Palestiniens. J’en fais des cauchemars la nuit. J’ai tant à me battre contre moi-même pour ne pas devenir violent ou agressif. À chaque fois que je mets les pieds à Jérusalem-Ouest, la Jérusalem juive, une telle colère m’envahit parce que je vois à quel point les autorités municipales négligent sa voisine, la Jérusalem arabe… Lorsque ça prend 45 minutes pour traverser un check point et que des soldats «beuglent» quoi faire en hébreu par des haut-parleurs au maximum et que tout le monde se bouscule pour passer trois par trois au tourniquet (voir la photo), il est dur de garder son calme. Souvent, je pense à mon père qui prend si bien soin de ses vaches et je regarde comment les gens sont traités ici… Je regarde ces soldats qui sont aussi prisonniers de la machine, la mitrailleuse nonchalamment en bandoulière, et je rage contre l’architecte du check point, contre le gouvernement du check point, contre la communauté internationale du check point. Je suis moi aussi un numéro au check point, un peu moins humain à chaque fois que je le traverse.


Le dur défi de s’ouvrir les yeux
Heureusement, l’accueil des Palestiniens et leur courage depuis plus de 60 ans d’humiliation, la détermination de plusieurs Israéliens qui consacrent leur vie à lutter contre toutes les injustices commises par leur pays, la présence d’internationaux lucides qui n'achètent pas le discours du premier venu et qui tentent réellement de comprendre la complexité des retombées de chaque geste posé ici comme ailleurs, tout cela me redonne tellement d’énergies. Mes amis québécois, ma famille, jouent aussi un rôle important pour que je n'y perde pas mon âme. Il est si difficile de déconstruire toute la propagande qu’on entend en Amérique du Nord comme en Israël à propos du conflit israélo-palestinien. Cela implique de remettre en cause tant d’idées préconçue à propos de nos propres « vertus démocratiques ». La première fois que je suis venu en Israël, j'ai refusé de me rendre de l'autre côté du mur et j'ai été très borné face à ceux et celles qui ont tenté de m'ouvrir les yeux sur ce qui se passe derrière la « barrière de sécurité ». Je réalise aujourd’hui que mon silence, que mon ignorance, étaient construits sur les mêmes bases que celui des Israéliens.

Découvrir son âme… de l’autre côté du mur
Traverser de l’autre côté du mur, traverser sur l’autre rive en terme évangélique (Lc 8, 22), demande un tel détachement : cela implique de s’ouvrir à l’autre coûte que coûte malgré les tempêtes et assumer la marginalisation qui l’accompagne. L’autre fait alors partie de mon monde, de ma chair! Jésus est cet homme qui a aussi cherché ses mots et les a trouvé en racontant des histoires. Il a traversé de l’autre côté du mur : il est allé vers les collecteurs d’impôts et les prostituées, vers les Samaritains et les étrangers, et même vers les soldats romains de son époque (les occupants !). De la même façon, je réalise que la résistance à l’occupation, peu importe le prix à payer, est la route spirituelle que Jésus a empruntée. Refuser d’être parmi la majorité silencieuse et courir le risque de vivre de l’autre côté du mur, au Québec comme en Israël, n’est-ce pas là l’essentiel de l’Évangile ? Perdre son âme… Non, c'est plutôt de ce côté qu'on la découvre dans toute sa profondeur!

mercredi 1 août 2007

Ma’ale Adumim… pas si loin de chez vous !



À 15 minutes de Jérusalem-Ouest, la partie juive aux allures californiennes de « l’indivisible cité », existe une banlieue nommée Ma’ale Adumim. Elle est merveilleuse, fleurie, joviale avec de jolis immeubles d’habitation un peu partout, de belles routes, des parcs et des arbres. En bref, Ma’ale Adumim ressemble à une oasis, une beauté jaillie en plein désert (et en effet, cette banlieue est en plein désert). Y vivent des gens comme vous et moi, qui triment de 8h le matin à 5h le soir, qui aiment magasiner dans les nombreux centres d’achat de la place, aller à l’une des 4 quatre piscines de la ville ou encore bouquiner tranquillement dans la « bibliothèque de la paix ». Pour simplifier la vie de ses 35 000 habitants, cette oasis est reliée à Jérusalem par une autoroute très efficace qui zigzague joyeusement à travers les collines désertiques, les camps de bédouins et le mur de sécurité spécialement adapté à la couleur du paysage, un beige sable. Au passage, à quelques minutes de la ville, vous pouvez saluer les soldats de la main au poste de contrôle. N’ayez crainte : on ne vous arrêtera pas… ils sont là pour assurer votre sécurité contre les « terroristes » potentiels.

Je vous jure : j’ai été touché par la beauté du lieu. Vraiment, si je ne prenais pas le temps d’y réfléchir un peu, j’y déménagerais spontanément ! Comme nous le soulignait Angela Godfrey du Comité israélien contre la destruction de maisons [1] lors d’une vision alternative de Jérusalem-Est , le seul hic est que Ma’ale Adumim est la deuxième plus grande colonie de peuplement israélienne – la première à avoir obtenu le statut de ville en 1992. Or, qui dit colonie dit vol de terres, déplacements de population et défense des territoires arrachés.

Vol de terre… L’image est assez simple : située à 4,5 km de la ligne verte (la frontière de 1967), Ma’ale Adumim est complètement en territoire palestinien occupé et sur des terres qui appartenaient jadis aux habitants d’Abou Dis, El Izriyeh, El Issawiyeh, El Tour et Anata, dont les possibilités d’expansion sont aujourd’hui fortement réduites.

Déplacement de population… La communauté bédouine Jahaline n’est pas en reste : chassés du Negev en 1948, les réfugiés se replient sur le territoire de la future Ma’ale Adumim. Or, à partir de 1976, les avis d’éviction, les destructions de maisons et les incursions militaires dans les camps bédouins deviennent une routine. Entre 1997 et 1999, 120 familles sont chassées pour laisser place à la colonie en expansion (malgré les recours devant la justice israélienne) et redirigées par Israël à 500 mètres du dépotoir d’Abu Dis (où sont versées les ordures du grand Jérusalem et de Ma’ale Adumim, soit 700 à 800 camions par jour), un endroit naturellement des plus propices pour faire paître des moutons… [2]

Défense et annexion des territoires occupés… Ma’ale Adumim constitue aujourd’hui la dernière pelletée de terre afin de déclarer morte et enterrée la solution à deux États. En effet, si la colonie occupe aujourd’hui 7 kilomètres carrés, le plan municipal d’expansion prévoit au contraire une expansion jusqu’à 55 kilomètres carrés. Autrement dit, la colonie s’étendra quasiment de la mer Morte à Jérusalem, coupant ainsi la Cisjordanie en deux ; de même, l’expansion vers le Nord de Ma’ale Adumim grugera les dernières possibilités de croissance de Jérusalem-Est . [3]

Incroyable ? En effet, il est presque difficile de croire que la merveilleuse Ma’ale Adumim soit entachée d’autant de sang et de souffrance… Encore plus difficile de croire qu’à l’ombre de cette cité rutilante, il y ait tant de sœurs et de frères que l’on cherche à faire disparaître, dont on cherche à nier l’existence. En fait, pour qui s’arrête quelques minutes pour y penser, force est de réaliser que les Ma’ale Adumim pullulent dans notre monde. Par exemple, bien qu’elles soient vieilles de 400 ans, les Amériques regorgent de « frères-bédouins » déportés. Sans le savoir, vous vivez probablement sur la terre de quelqu’un d’autre, sur une terre conquise et colonisée. Personnellement, je n’ai qu’à penser à Montréal : la belle ville aux cent clochés s’est imposée sur un territoire où vivaient entre autres les Mohawks, ne laissant à cette nation que la petite bande de terre au Sud de l’île qu’est aujourd’hui Kahnawake... Et guise de compensation, nous les avons enclavés !

Ma’ale Adumim est-elle si loin de chez vous ? Répondre à cette question, c’est être plongé au cœur du conflit israélo-palestinien sans même sortir de chez vous… Ahlan wa sahlan fi Filestine ! [4]




[1] Pour en savoir plus, voir le site d’ICAHD au www.icahd.org.
[2] Pour plus d’informations sur ce dossier controversé (les habitants de Ma’ale Adumim tout comme les autorités israéliennes ont évidemment un tout autre discours, percevant plutôt les Bédouins comme des « squatters » et un foyer de cellules terroristes), voir l’étude du Applied Research Institute of Jerusalem, « The Jahalin vs. Ma'ale Adumim: Case History », 21 février 2007, http://www.arij.org/index.php?option=com_content&task=view&id=273&Itemid=26&lang=en, et la lettre au secrétaire général des Nations Unies de Agricultural Development Association (PARC), Al Haq, Applied Research Institute -Jerusalem (ARIJ), Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights, Defence for Children International/Palestine Section (DCI), Ensan Center for Democracy and Human Rights, The Israeli Committee Against House Demolitions (ICAHD), and the Jerusalem Legal Aid Center (JLAC), « Urgent appeal on the situation of the Jahalin Bedouin living in the occupied Palestinian territory and threatened by forced displacement », 6 juillet 2007, http://www.dci-pal.org/english/display.cfm?DocId=588&CategoryId=1.
[3] Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal, « A l’ombre du mur : Comment Israël confisque Jérusalem-Est », Le monde diplomatique, février 2007, http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/REKACEWICZ/14411.
[4] Bienvenue en Palestine !

vendredi 2 février 2007

Pour revivre Nairobi en photos

À tous ceux et celles qui ont suivi de près les textes que je vous ai retransmis d'Afrique, voici enfin les images qui vont avec! Une autre façon de vivre et revivre le Forum social mondial et ma rencontre avec la bouleversante réalité du Kenya est de visiter ma gallerie de photos commentées. Pour ce faire, simplement vous rendre sur
http://flickr.com/photos/idealiste-convaincu/

jeudi 1 février 2007

Amsterdam et le Québec vus de Nairobi

Ce texte a été par Jean-François Roussel suite à notre passage contrasté entre Nairobi et Amsterdam. Ce texte est d'autant plus touchant qu'il trace tant de parallèles entre la réalité d'ici et celle de l'Afrique, tant de similarités que nous ne voulons pas voir...

Nous sommes arrivés à l’aéroport Pierre-Eliott-Trudeau à mardi à 17h00, au terme d’un voyage de 24 heures environ. Nous transitions par Amsterdam, où nous devions attendre plusieurs heures avant de prendre notre second avion pour Montréal. Aussi avons-nous décidé d’aller visiter un peu la ville. Nairobi jette sur Amsterdam un éclairage bien particulier. Sous cet éclairage c’est Montréal qui apparaît aussi. Et le projet d’une théologie contextuelle d’ici. Est-il possible de faire de la théologie contextuelle dans une société riche et démocratique?

Une ville libérale
Nous marchons à Amsterdam, une ville fondatrice du capitalisme, où le libéralisme a trouvé un champ d’application majeur. Amsterdam, fondée par des commerçants, point de départ d’explorations commerciales dans les ‘nouveaux mondes’ d’Orient et d’Occident – dont la Nouvelle-Hollande annexée ultérieurement à la Nouvelle-Angleterre. Amsterdam, lieu de refuges de libres penseurs qui ont pu y donner leur pleine mesure à l’encontre des monarques et des Églises. Les plus célèbres de notre point de vue sont René Descartes et Baruch Spinoza. Aujourd’hui encore, la tolérance est érigée en vertu cardinale. Un indice bien connu : le partage des rues entre piétons, automobiles et une nuée de cyclistes qui se rendent au travail et qui nous font presque regretter de ne pas tenir des guidons entre nos mains à cette heure. Amsterdam est une ville conviviale, dont l’Amérique pourrait s’inspirer.

Un récent numéro de la revue Relations apporte quelques nuances à cette tolérance légendaire d’Amsterdam. Depuis l’assassinat du réalisateur Van Gogh, une tension grandissante de même qu’une xénophobie insoupçonnée font rage dans le pays. Néanmoins, la ville tient à préserver son image de ville tolérante, qu’une promenade dans le centre-ville tend à conforter.

Le quartier où nous marchons est dédié aux plaisirs dans une atmosphère qui se veut soft. Les cafés abondent, où des pipes à eau en vitrine annoncent qu’il est possible d’y fumer du cannabis en toute légalité. Amsterdam est une ville souriante.

Nous voici ensuite dans le Red Light, où les plaisirs proposés sont plutôt d’ordre sexuel. Les sex shops étalent leurs étalages de godemichés et autres accessoires habituels de l’industrie. Le côté primaire de l’imaginaire érotique qui s’y dévoile nous laisse perplexe. Enfin, il faut de tout pour faire un monde... La prostitution aussi est légale. Nous écoutons Jean Bellefeuille, qui a étudié les aspects locaux et internationaux de la prostitution dans une recherche à la Conférence religieuse canadienne. Si je le voulais, je pourrais m’éclater avec une prostituée sans la moindre crainte de l’arrestation. Amsterdam est une ville tolérante.

À l’heure très matinale où nous sommes, les femmes n’ont pas encore gagné leurs sièges dans les vitrines où elles s’exposeront tout à l’heure. En très petite tenue, une prostituée est en train de converser avec sa voisine dans l’embrasure de la porte. En espagnol, elle lui dit sa grande fatigue émotionnelle après ses deux derniers clients, qui l’ont traitée d’une manière éprouvante : « Je n’en peux plus! ». Tout à côté, un homme nous aborde en espagnol, nous proposant d’essayer « ses » filles. Son souteneur, sans doute.

Que dire d’Amsterdam? Tolérante, sans doute. Conviviale? Souriante?

Après Nairobi
Nous arrivons de Nairobi, où la plupart des gens s’arrangent avec un salaire annuel de quelques centaines de dollars. La vie y est dure, le luxe rare sauf pour une minorité. Et nous voici dans un environnement de ville riche, dans un quartier touristique il est vrai, dont l’économie tourne essentiellement autour du luxe. Un luxe directement proportionnel à l’austérité de l’Afrique. Amsterdam a été une puissance coloniale soutenue par des commerçants dynamiques et audacieux.

À Nairobi, la possibilité de la violence est omniprésente dans les rues, dans les parcs : les barbelés composent un élément du décor; les soldats armés sont partout. Mais ici, à Amsterdam, à côté des canaux paisibles, des vélos poétiques, de l’allure décontractée des gens, la violence existe. Elle s’affiche avant les heures d’affaire, avant le début du spectacle. Les souteneurs aimeraient bien apparaître comme de paisibles commerçants. Même quand ils profitent de la tolérance des Pays-Bas pour faire d’une ville le terminus de la traite des femmes venues d’autres pays. Des femmes dont les motivations à faire de la prostitution ne doivent pas être bien différentes de celles qui expliquent la prostitution à Montréal. Peut-être pas très différentes non plus de celles des prostituées de Korogocho et Kibera à Nairobi. Ces femmes ont commencé à se prostituer vers le milieu de l’adolescence. Illégal, évidemment. À l’âge de la majorité, elles perpétuent les abus subis auparavant. Légal, évidemment. Les souteneurs sont ravis. Le fisc y trouve son profit. L’État en fait un de ses arguments touristiques, à côté des tulipes et des moulins à vent. Amsterdam est bucolique.

À Amsterdam, les prostituées ont des droits. Elles reçoivent un suivi médical, prévention contre les MTS oblige. On ne peut évidemment rien faire contre la violence des heures de travail, contre les jeunesses violées. Mais Amsterdam sourit.
Amsterdam, Montréal, l’indifférence

Culturellement, Montréal est plus proche d’Amsterdam que de Nairobi. Je songe à tous ces touristes dont le passage à Montréal ou à La Malbaie serait incomplet sans une soirée au casino. Environnements rutilants, bénis par le Gouvernement québécois. Lequel assume ses responsabilités en faisant bien, par ci par là, des campagnes publicitaires contre le jeu compulsif. Il le faut bien, après tout, minimum de décence au vu de tout ce que cela rapporte. Avouons que c’est bon pour l’image. Pendant ce temps, au casino, ou dans les vidéo pokers, des femmes et des hommes jouent leur chemise, consomment leur descente aux enfers et celle de leurs conjoint-e-s et enfants. Vient ensuite le dur réveil, dans les dettes, la honte, la solitude, les couples et les familles en éclats. Le désespoir en pousse plusieurs à leur dernier geste, à leur ultime violence. Ni barbelés ni soldats n’ont été nécessaires. Les victimes ont fini le travail toute seules.

Je ne prétends pas régler la question de la prostitution et de sa légalisation. Je sais bien que c’est une question complexe. Je sais bien que le mieux est parfois l’ennemi du bien. Que la politique est l’art du possible. Que l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est aussi ce que Loto-Québec répond aux opposants aux casinos. Je me contente de noter qu’Amsterdam est conviviale, que La Malbaie sourit, que nos sociétés riches sont décontractées.

L’intolérable, lui, est rangé aux marges, géré comme un épiphénomène. La violence est toujours possible à Nairobi et l’environnement ne cesse de nous le rappeler sans pudeur. Pendant ce temps, au nord, à Amsterdam comme à Montréal, elle est discrète, à la marge, dans la ruelle, dans l’embrasure d’une porte où se dit à voix basse un « Je n’en peux plus », dans l’indifférence d’un souteneur, d’un croupier ou d’un technocrate.

Je reviens de Nairobi avec au cœur le souhait de montrer ces violences discrètes, dont il est si facile de faire abstraction ici, de montrer l’intolérable derrière le décor démocratique et libéral de nos sociétés, où l’admirable peut côtoyer le sordide. Il est possible, et nécessaire de faire de la théologie contextuelle dans notre société riche.

mercredi 31 janvier 2007

Dans les larmes de Sabina se cache l’autre monde possible


Nous voici déjà le 30 janvier 2007. Je suis au-dessus de Terre-Neuve, à bord d’un de ces immenses aigles d’acier des temps modernes (version très polluante), symbole équivoque de ce monde si petit pour celles et ceux qui ont les moyens de se payer le billet de la « richesse » et du « développement ». En fait, j’en laisse des milliers de ces personnes derrières moi qui n’auront probablement jamais la chance de sortir de Kibera, Kigami ou Korogocho, encore moins de monter dans un luxueux McDonald Douglas série 11 de KLM. Fatalité ? Je ne m’y résigne pas le moins du monde ! J’ai rencontré trop d’exemples de courage au Kenya pour me résigner à un monde où il est…

• normal que la richesse de cette terre profite à 20% de « gagnants »,
• normal de polluer l’air à coup de voyage en auto, avion ou motoneige,
• normal d’intoxiquer l’eau d’engrais chimiques et de métaux lourds,
• normal de raser les forêts pour consommer notre 800 kilos annuel de papier,
• normal de vider les fonds marins pour que les sushis soient abondants,
• normal de priver les peuples autochtones de leurs terres pour en faire des parcs nationaux ou des barrages hydroélectriques,
• normal de délégitimer les médecines traditionnelles au nom de la « science »,
• normal de breveter le vivant jusque dans ses moindres atomes sans prendre garde aux conséquences,
• normal de dépenser chaque année plus d’un trillion de dollars en armements,
• normal de laisser s’amonceler les ordures et les seringues pour que les enfants des bidonvilles du monde aillent y jouer,
• normal de laisser mourir des millions d’êtres humains infectés du VIH parce qu’ils ne sont pas pharmaceutiquement rentables,
• normal qu’au Kenya quatre femmes sur cinq soient victimes de violence et de viol,
• normal qu’à Amsterdam les prostituées s’affichent dans des vitrines comme des pièces de viande chez le boucher…

Non ! Rien de cela ne doit être normal ! Ni en Afrique, ni en Asie, ni en Australie, ni en Europe ou ni en Amérique. Ces « normalités » sont des échecs cuisant de notre humanité. Chaque visage nié, humilié, crucifié et ignoré me déshumanise. En même temps, chaque visage découvert, chaque larme essuyée, chaque sourire dévoilé, m’humanisent. J’en ai vécu l’expérience, samedi, en rencontrant Sabina chez elle dans le bidonville de Kibera en compagnie de deux travailleuses sociales. Inutile de dire que cette rencontre fut pour moi d’un bouleversement radical. Imaginez le portrait : Sabina est une jeune maman de 35 ans atteinte du VIH, trois fois veuve, mère de quatre filles. La maladie et le manque de tout lui donnent les traits d’une femme de 50 ans. Arrivée en retard, c’est sa fille et un beau-frère en visite qui nous ont accueilli dans la maisonnette de bois, grande de 8 par 10 pieds. Chaque matin, Sabina se lève à 3 heures du matin pour aller au centre-ville de Nairobi acheter du poisson qu’elle fera frire au cours de la journée pour le vendre en petit morceau le soir venu (tout le monde, dans le slum, achète de gros trucs – sucre, charbon de bois, poissons, bananes, kérosène, etc. – qu’il revend ensuite à ses voisins en petites quantités). De retour vers 5-6 heures du matin, elle prépare ses filles pour l’école et va les reconduire pour que rien ne leur arrive. De retour, elle nettoie le poisson, le fait frire et prie pour qu’elle ait de quoi manger pour souper, le dîner, on n’y pense même pas. Elle se repose quand elle peut, question de remonter la pente après plusieurs mois d’alitement suite à une tuberculose. En fin d’après-midi, elle s’occupe à nouveau de ses filles et s’installe sur le bord de la « voie » (un chemin de terre bordé des cabanes et de monticules de déchets que seul les gens du slum empruntent) pour vendre son poisson. En fait, ces quelques bouts de poisson sont bien insuffisants pour payer la nourriture pour sa famille et son loyer de 1000 Ksh par mois (et oui, même les cabanes de bois à une pièce sans électricité, sans toilette, sans eau de Kibera appartiennent à des « landlords », pour la plupart des parlementaires kenyans). Si elle ne paie pas, le proprio viendra lui enlever son toit (l’exposant à la pluie qui la rendra encore plus malade) ou carrément la mettre à la rue pour que d’autres puissent s’emparer de son logement (qui est somme toute assez luxueux puisque le plancher n’est pas en terre mais en ciment !).

Sabina devra faire des miracles. Comment ? Dieu seul le sait, et elle s’adresse souvent à lui. Le centre des missionnaires de Marie qui lui fournit sa trithérapie lui offre bien quelques vivres, mais ce n’est pas assez. Assis doucement dans sa petite maison avec Angela, Normand, Roda et Ladia, je lui demande comment elle fait pour trouver le courage de se lever chaque matin, jour après jour. Elle ne le sait pas. Elle font en larmes : elle demande à Mungu (Dieu en khiswahili) de l’aide, elle nous demande avec une grande sincérité si nous ne serions pas des anges envoyés par Mungu pour réaliser ses prières. C’est que, malgré tout, Sabina caresse un rêve : celui de retourner s’établir à la campagne, près de l’Ouganda, sur un lopin de terre que son frère lui offre. Avant de mourir, elle voudrait offrir une maison à ses quatre filles, les savoir en sécurité en dehors du slum, avec un toit bien à elles. Évidemment, elle n’a pas l’argent pour se construire un gîte, même tout petit, et ne l’aura probablement jamais. Comme bien des gens qui vivent dans ce bidon que certains nomment « ville », son rêve de la terre de ses ancêtres est bien inaccessible depuis qu’elle en a été chassé parce qu’elle n’a pas donné à sa belle-famille le fils attendu. Sans mari, sans emploi, maudite de la peste du VIH, elle n’a eu d’autre choix que Kibera…

Définitivement, je refuse tous les discours à la « There is no alternative. » qu’on nous sert. Au contraire, « There are many alternative ! » et même « There must be many alternatives ! ». Face au fatalisme et à la facilité du découragement (puisqu’à l’Ouest, nous avons encore le choix du découragement, notre vie n’en dépend pas), je me rappelle le courage de cette chère Sabina qui se lève tous les matins pour ses filles, qui s’accroche à son rêve. Pour elle, et pour tous ceux qui souffrent, je veux me battre jusqu’au bout de mon sang s’il le faut pour qu’un autre monde soit possible, pour que la normalité ne soit ni la misère, ni les vitrines d’Amsterdam, mais bien la justice vivifiante : que tous aient selon leurs besoins pour que la vie soit partagée, que les richesses du cœur comme de la nature soient offertes et renouvelables, pour que nous puissions véritablement être un cadeau les uns pour les autres. Comment faire ? Il faut déboulonner le fatalisme et l’apathie ambiantes, les attaquer en leur cœur en transformant radicalement notre manière de voir le monde, de voir l’Afrique, de voir la vie. Il faut subvertir de l’intérieur nos visions : promouvoir les échanges entre les riches d’âme du Sud et les pauvres de sens du Nord, mettre de l’avant le développement d’une économie du partage et de la croissance humaine, appeler à une globalisation de petits villages où les cultures s’enrichissent les unes des autres plutôt que de rivaliser. Il faut se réseauter, se tenir les coudes serrés à tous les niveaux, agir personnellement, localement comme globalement. Il faut que nos vies soient faites de noms et de visages : que tous puissent croire que dans les larmes de Sabina, que dans l’eau cristalline de ses yeux qui osent encore le courage du rêve, se cache l’autre monde possible. Amie, Ami, viens avec moi construire ce monde… Dieu nous y attend.

vendredi 26 janvier 2007

Bilan : Le monde vu du Forum social mondial

Ce texte a été écrit par Angela Gabriella Aurucci, Denise Couture, Jean-François Roussel, et moi-même, tous membres du CÉTECQ, et envoyé aux journaux québécois qui semblent beaucoup trop occupés à Davos pour parler de Nairobi...

Du 20 au 25 janvier, se tenait à Nairobi le septième Forum Social Mondial. L’événement, d’une envergure impressionnante, regroupait environ 100 000 personnes venues des 5 continents, dans l’esprit d’une pensée et d’une pratique altermondialistes. Nous sommes venus ici pour apprendre, au contact d’une diversité d’expériences, comment une multitude de communautés locales, de par le monde, réagissent à la transformation de leurs milieux en contexte de globalisation.

Il n’est pas facile de rendre compte de l’expérience à la fois si riche et parfois si contradictoire du Forum social mondial qui a présentement cours à Nairobi. Parmi cette masse de militant(e)s et d’intellectuel(le)s l’esprit est à la résistance : un autre monde est possible !

Et pourtant, la résistance contre l’Empire et les infrastructures néo-libérales cohabitent ici avec le capitalisme dans une déchirante tension. Un exemple : alors que se rassemblent les groupes qui luttent contre coca-cola, on nous vend partout sur le site de l’eau mise en bouteille par l’une de ses filiales. Au FSM existe aussi la discrimination économique : on peut acheter sa banane pour 5 Ksh (0,03$) l’extérieur du site, sur place pour 10 Ksh (0,06$) d’un marchand itinérant ou bien pour 50 Ksh (0,30$) dans la tente de la succursale kenyane de la multinationale Fairmount présente sur place. Pire encore, alors que l’on parle d’écologie toute la journée, le soir venu, on trouve des amoncellements de déchets partout sur le site puisqu’il n’y a pas de poubelles nulle part !

Une couleur africaine

Que dire de Nairobi elle-même ? D’abord, qu’elle est une ville diversifiée aux points de vue culturel, économique et religieux.

Tenir le Forum social mondial en Afrique, c’est rencontrer un mélange culturel à deux points de vue : mélange des cultures d’Afrique subsaharienne en présence (car il va de soi qu’elles sont majoritairement représentées), dont la variété peut facilement échapper à l’occidental mais qui se manifeste ici; mélange des cultures traditionnelles et modernes aussi. Une image éloquente : celle de jeunes Masaïs en tenue traditionnelle, au regard de feu, venus ici au même titre que les autres participants pour écouter et partager : arc à l’épaule, bâton de berger à la main ; mais qui, comme tant de jeunes Québécois, se retirent brièvement des ateliers en extirpant de leur besace des cellulaires chantonnant ! Ou encore, la congestion routière du matin sur l’autoroute en direction du centre-ville, pendant que dans d’autres quartiers des gens déambulent à pied en tirant une charrette ou en guidant une vache ou des chèvres.

Un autre aspect de la variété à Nairobi, c’est une inégalité socioéconomique frappante : d’une part, une classe très riche, habitant maisons cossues (et bien gardées), roulant en VUS; de l’autre, Kogorocho, Kibera et d’autres bidonvilles où s’entassent 2 millions de personnes dans un degré de misère matérielle qui apparaît sous-humain, et pire que celles des bidonvilles d’Amérique latine.

Voilà qui pourrait nous entraîner sur la pente facile de la commisération à la vue du « pauvre » Africain. Non, nous résistons à ce réflexe, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il n’est pas tout à fait exact de dire que ’Afrique est « pauvre » : plus précisément elle est exploitée, ses fabuleuses ressources pillées depuis plus d’un siècle (1885, Conférence internationale de Berlin, qui réunit les chefs des États coloniaux pour régler le partage de l’Afrique en parts de gâteau pour tous les convives). Sans parler, bien sûr, de l’immense capital humain perdu par la traite des esclaves en Europe et en Amérique, à une époque heureusement révolue.

Il faut venir ici, sur place, pour constater de visu les résultats de cette histoire. Pour éprouver la légitimité d’une revendication croissante, celle de l’annulation de la dette des pays d’Afrique, qui ont largement contribué à créer la richesse des banques du Nord sans jamais être payés de retour. Le Forum de Nairobi n’a pas le chic de celui de Davos, quelques clics de Google Earth plus haut, mais Nairobi instruit beaucoup sur Davos.

L’autre raison pour laquelle nous résistons au réflexe de regarder l’Afrique par la lorgnette de la « pauvreté » : alors qu’on nous a appris à considérer le continent africain comme perdu, sous-développé et incapable de se prendre en main (et donc encore moins de contribuer au mouvement altermondialiste), nous découvrons ici des personnes créatives, inspirantes et riches d’une diversité que nous avons parfois tant de mal à célébrer. Par exemple, le Kenya est constitué de 42 communautés culturelles (ce que certains nomment tribus) qui cohabitent pacifiquement malgré les différences de langues et de religions, pour ne nommer que celles-ci. La vaste proportion d’Africains ici présents nous racontent leurs luttes et leurs engagements quotidiens de libération.

Le Forum de Nairobi, en effet, a accordé une place de choix aux préoccupations et aux enjeux africains, en tâchant souvent d’articuler réflexion et stratégie d’intervention. Citons à titre d’exemples, le problème de l’eau et de sa distribution. Le fondamentalisme religieux et les moyens de le contrer. Le VIH-sida. La libéralisation du marché du travail et les femmes en Afrique. Le Sahara occidental, dernière colonie africaine. L’Université africaine à l’heure de la mondialisation. La spiritualité africaine et son apport à la décolonisation des esprits. Le processus de réconciliation au Rwanda. Perspectives africaines sur le commerce équitable. L’impact déstructurant des OGM sur l’agriculture et les agriculteurs en Afrique. Ce ne sont là que quelques-uns des très nombreux thèmes africains abordés au Forum, parmi beaucoup d’autres qui concernent d’autres régions du monde, y compris la nôtre.

Un regard québécois

Regarder le Québec, et plus largement l’Occident, du Kenya est une expérience des plus bouleversante. À leur exemple, nous sommes devant le défi de construire une solidarité internationale, de modifier notre structure de pensée qui fait en sorte que l'on aborde très spontanément les Africains comme des victimes. Nous dispenser de cette tâche consolide les relations coloniales et fait obstacle à la tâche commune de bâtir les conditions d'une solidarité.

D’un point de vue québécois, l’intérêt d’un forum mondial en Afrique est de jeter un éclairage nouveau sur certaines questions proprement québécoises et de favoriser des réseautages inattendus. Ainsi, la situation des éleveurs nomades de l’Afrique de l’Est rappelle à maints égards celle des nations autochtones de chez-nous, entre autres à propos du territoire et de la discrimination. Ou encore, le concept de développement durable est critiqué à partir d’une perspective du Sud : alors qu’il devient de plus en plus clair que la planète ne peut plus suivre la cadence de son exploitation au nom du développement (durable ou pas), ne serait-il pas temps d’oser remettre en question, de manière radicale, cet objectif de développement continu ? A fortiori quand ce développement des uns se fait aux dépens de la vie des autres (voir chez-nous l’impact du détournement du fleuve Rupert sur les communautés cries).

On pourra toujours reprocher au Forum social mondial de regrouper les utopistes de tous les continents pour des résultats politiques bien minces. Bien sûr, un sommet de chefs d’États fait sentir ses effets avec autrement plus d’efficacité. Pourtant, au FSM, on peut entendre des voix multiples, venues de partout, qu’on n’entendra pas ailleurs s’exprimer d’une voix unifiée. Non pas des voix d’utopistes mais celles de gens engagés dans une mosaïque de projets de terrain, à la grandeur du globe, qui produisent des changements réels à l’échelle locale. Les uns apprennent des autres et se regroupent par delà les frontières dans des réseaux neufs et inattendus. Cela justifie amplement l’expérience des Forum sociaux mondiaux et nous prépare avec impatience au Forum social québécois, qui aura lieu à Montréal en août prochain.

mercredi 24 janvier 2007

Message de Denise Couture d'Amsterdam

(Voici le message que Denise Couture, retournée plus tôt à Montréal, a envoyé à notre délégation il y a deux jours.)

Je vous écris de l'aéroport d'Amsterdam, alors que je suis sur le chemin du retour vers la maison. Je me sens triste et déçue d'avoir quitté le groupe la première et avant la fin du forum social. Hier, dans un atelier organisé par le groupe mondial « Des femmes pour la paix », une femme blanche a demandé à l’une des coorganisatrices du forum social, une femme noire : « Que dois-je rapporter chez moi de mon expérience à Nairobi ? » Celle-ci a répondu : « La relation que tu as établi avec moi. » La femme kenyane nous recevait chez elle. Elle nous a proposé de mettre en pratique une nouvelle manière de penser : de ne pas considérer le continent africain comme perdu, oublié et incapable de contribuer au mouvement altermondialiste mondial, mais plutôt de nous rappeler qu'un grand nombre de personnes africaines sont engagées dans des luttes de libération et que nous avons le défi de construire une solidarité internationale entre les personnes qui travaillent pour la libération. Cette femme nous a demandé de modifier une structure de pensée qui fait en sorte que l'on aborde très spontanément les Africaines comme des victimes. Cette façon de faire consolide les relations coloniales et fait obstacle à la tâche commune de bâtir les conditions d'une solidarité. La question n'est pas de savoir ce que le forum mondial peut faire pour les femmes, a-t-elle dit, au contraire l'action du groupe « Les femmes pour la paix » offre plutôt au forum social une proposition d'alternative. Cette femme a raison. Ce que je rapporte de mon expérience à Nairobi, ce sont de nouvelles amitiés, des relations personnelles établies avec des personnes hors de l'ordinaire. Ces relations sont politiques. Nous avons fait ensemble une analyse des structures qui rendent possibles des injustices vécues par des femmes et des hommes. Je pars avec la recommandation de Teresa Okure (doyenne d'une Faculté de théologie au Nigeria) d'apprendre à penser autrement : de ne pas considérer les femmes du bidonville de Kibera comme des victimes, mais de poser la question : comment Kibera est-il devenu possible? Comment agir pour qu'il devienne une impossibilité?

Buenas tardes
See you
Meilleures salutations

Denise

lundi 22 janvier 2007

Les peuples autochtones : architectes d’un autre monde possible face à la catastrophe occidentale

Comme le disait Angela hier, il n’est pas facile de rendre compte de l’expérience à la fois si riche et si contradictoire du Forum social mondial. Ici, la lutte contre l’Empire et les infrastructures impériales cohabitent dans une déchirante tension. Un exemple : alors que se rassemblent les groupes qui luttent contre coca-cola, on nous vend partout sur le site de l’eau mise en bouteille par l’une de ses filiales. Au FSM existe aussi la discrimination économique : je peux acheter ma banane pour 5 Ksh à l’extérieur du site, sur place pour 10 Ksh d’un marchand itinérant ou bien pour 50 Ksh dans la tente de la succursale kenyane de la multinationale Resort Inn présente sur place. Pire encore, alors que l’on parle de la Terre-mère et d’écologie toute la journée, le soir venu, il y a des amoncellements de déchets partout sur le site puisqu’il n’y a pas de poubelles nulle part !

Pas facile d’assumer sa position paradoxale. À ce propos, un atelier donné par le groupe International Feminists for a Gift Economy (www.gift-economy.com) auquel j’ai assisté sous le thème « Capitalisme patriarcal, (néo)colonialisme et les dons alternatifs féministes : femmes, nature et cultures indigènes » ouvre de riches voies. Un constat initial : le marché patriarcal néolibéral est un système parricide, infanticide et environementicide qui reproduit la domination patriarcale mortifère. Autrement dit :

Développement économique = vol, oppression et destruction

Les paroles d’une courageuse militante péruvienne de culture indigène quéchouanne étaient sans ambages à ce propos :
Ø Les biotechnologies entraînent la disparition des méthodes traditionnelles de chasse, de pêche et de culture des herbes médicinales de son peuple (des médecines combien de fois plus éprouvées que les nôtres !).
Ø Le « développement durable » n’est qu’une autre stratégie pour voler les dernières terres encore vierges à son peuple en créant des réserves nationales une fois que les colonisateurs d’hier et d’aujourd’hui ont rendu les autres infertiles.
Ø Le biotourisme n’est qu’une façon de plus d’exploiter ces terres « réservées » en donnant bonne conscience aux touristes occidentaux, tout en dépossédant ceux qui les occupent depuis des siècles, détruisant leurs cultures du même coup, au nom de la croissance économique qu’il ne faut surtout pas freiner.
Ø Les changements climatiques, notamment la baisse d’oxygène dans l’air, transforment l’environnement et la manière de vivre de son peuple, les femmes en sont les premières touchées. Kyoto est tout sauf suffisant et juste. La bourse du carbone n’est qu’un dumping écologique des pays les plus riches vers les nations qu’elles pillent et réduisent en esclavage économique (et ce malgré le 200e anniversaire de l’abolition de la traite des noirs par la Grande-Bretagne que nous commémorons cette année).

En fait, les peuples autochtones, les premières nations de nos terres colonisées et arrachées (au Québec nous avons 60 000 citoyens autochtones, 11 nations avec leurs langues et leurs cultures, que nous tuons à petit-feu avec notre politique d’apartheid), n’avaient nullement besoin de notre « développement » et de notre « civilité ». En clair, l’expansion de la civilisation occidentale et du capitalisme patriarcal est une catastrophe pour l’humanité et son environnement : aucune civilisation dans l’histoire n’a autant produit de gaspillage et d’injustices, ni séparée radicalement l’humain de la nature, ni hiérarchisée aussi intensément les vivants (femmes, enfants, esclaves, animaux) entre eux. Il faut aujourd’hui repenser en entier l’économie, la politique et les relations humaines, revoir ce système individualiste et patriarcal qui nous fragmente autant. Comme le suggérait une des panélistes, il faut élaborer une économie du don basée sur le modèle de la mère qui enfante dans la gratuité. Nous sommes tous enfants d’une mère, la Terre-mère nous a toutes engendrés. Nous sommes toutes et tous interreliées en ce monde telles des constellations. L’humain ne doit plus être uniquement un être de savoir (homo sapiens) mais un être de don (homo donors). Il nous faut élaborer une spiritualité de la Terre, il nous faut admettre notre ignorance et ses résultats terrorisants, apprendre de tous les peuples aborigènes que nous tentons depuis des siècles d’exterminer...

Dans sa folie marchande, les blancs et leurs complices sont en train d’euthanasier la planète et ses écosystèmes. Et pourtant, comme le disait une femme autochtone brésilienne, la Terre-mère sait engendrer le genre d’êtres humains dont elle a besoin et qui savent l’écouter. Aujourd’hui, au plus profond de leurs traditions et de leurs cosmologies diverses, les peuples autochtones détiennent le savoir, le Souffle et les plans nécessaires à la construction d’un autre monde possible. Les laisserons-nous en être les architectes ? Aurons-nous l’humilité d’être de simples ouvriers ?

dimanche 21 janvier 2007

Du FSM, rêver l’autre monde… Entre le cirque et la solidarité…


(Ce texte a été écrit par ma collègue Angela Gabriella Aurucci.)

Ce soir, alors que Michaël et moi avons pris le temps doucement de nous parler, nos cœurs se sont ouverts peu à peu pour découvrir une même fébrilité. La journée et la semaine ont été longues; le temps s’ellipse étrangement. En raccrochant le téléphone, je sens la distance des gens que j’aime, j’entends leur curiosité de nos nouvelles. De loin, ils rêvent avec nous, et désormais, nous savons que nous avons aussi des lecteurs qui sont du même rêve. C’est bon de savoir que nous formons ainsi une communauté de la parole; nous annonçons ce que nous recevons ici et déjà, vous entrez aussi dans le mouvement. Nous expérimentons ici les distorsions de temps et d’espace, typiques d’un séjour qui commence et se termine déjà, d’une terre lointaine mais qui vibre au plus profond de nous.

Ce soir, Denise est partie et notre délégation semble coupée de moitié, vidée d’une partie de son cœur. J’ai senti un instant d’effritement, un bris soudain de l’équilibre que nous avions créé entre nous. Après la fête hier, son départ marque le passage que nous vivons du Forum mondial de théologie et libération au Forum social mondial. Nous passons du petit, du particulier, de la communauté, à la masse, à l’anonymat, au collectif.

Ce fut donc aujourd’hui le véritable début du Forum social mondial. Quelques 300 ateliers nous étaient proposés, de 8h30 à 20h00. Munis du programme pour la semaine (qui fait 165 pages!) nous avons chacun pris notre chemin vers l’une ou l’autre présentation. Tournant en rond autour du Moi International Sports Complex – le stade qui sert de lieu de rassemblement – nous nous trouvions face au difficile choix de « magasiner » les causes. Nous avions bel et bien les pieds dans un « global Jukwaa » (kiswahili pour dire une plateforme internationale).

En ce moment, plutôt que de vouloir répertorier les discours qui nous ont touchés, ou les slogans activistes qui nous laissaient parfois sceptiques, plutôt que de livrer les problématiques urgentes qui nous ont fait pleurer, ce soir, avant tout cela, il y a dans nos voix une sensibilité qui n’y était pas les jours précédents. Je crois que nous nous situons à ce point de tension entre le cirque et la solidarité, comme si le rêve se fragmentait et se complexifiait devant nos yeux. Au forum de théologie, nous avons vécu une semaine où nos différences s’harmonisaient, se fécondaient plutôt bien. Non pas qu’elles aient été dissimulées, puisque nous avons partagé la diversité de nos héritages. Mais il semblait qu’il y avait un désir commun, un rêve commun d’une solidarité qui converge vers la libération. Nous avons partagé un acte de foi, nous avons cru ensemble qu’une spiritualité qui priorise la vie nous aiderait à faire advenir cet autre monde.

Ici au Forum social mondial, il y a également un acte de foi qui se fait. L’autre monde est possible, c’est du moins ce que l’on se dit les uns les autres, de plus en plus fort. Mais demeure toujours cette question du comment. Elle est chaude cette question, puisque justement, il n’y a pas une seule façon. Toute une palette de résistances, militantismes ou pacifismes nous est exposée ici, et tous nos paradoxes et ambiguïtés sont à fleur de peau. L’autre monde dont nous rêvons ne se vit pas forcément ici, même au Forum social mondial. Il n’est pas tout à fait là, mais presque déjà là aussi. Nous nous demandions, Michaël et moi, encore et toujours, pourquoi nous sommes là. Comment tenir, alors que même ici, dans cette célébration du rêve, nous avons du mal à « être autrement »? Comment risquer une parole alors que le geste ne la soutient pas?

Dans la joie, tout de même, nous apprenons à rire, à pleurer et à nous pardonner nos incohérences. Nous avons hâte de rentrer chez nous pour vivre, dans le petit, dans nos relations, un peu déjà des communautés de paix. Nous avons hâte de nous mettre à créer du beau, nous avons les poumons prêts à crier avec ceux que nous n’écoutons pas. Nous voulons vite devenir des artisans d’amour, nous repartirons pleins de foi, convaincus de notre rôle de co-créatrices, co-créateurs. Je pense que notre présence ici a un sens. Peut-être est-elle moins personnelle que collective, peut-être qu’elle fait partie de ces multiples espaces de lutte, de partage et de don. En tout cas, notre présence ici nous lie de plus en plus aux autres, elle nous rappelle la diversité qui habite la Terre et qui nous habite nous-mêmes.

Foward ! ... Foward ! … Foward ! … En avant pourquoi déjà ?




Texte écrit très tard par Angela Gabriella Aurucci, Denise Couture, Jean-François Roussel et moi-même au soir de la première journée du Forum social mondial. La finale est de Jean-François.


Nous sommes tous les quatre dans la chambre de Michaël. Il n’y a à la ronde que des eucalyptus et des acacias, pas une moindre bière pour noyer le chagrin de la délégation dans l’anticipation du départ de Denise vers Montréal. La journée, comme ses précédentes, a été intense et riche à tous les niveaux. Dès 9 heures ce matin, pendant que la moitié de nos collègues du FMTL restait à la maison pour une réunion d’évaluation du Forum, l’autre moitié partait déjà (après plusieurs démarches pour trouver un autobus qui puisse nous mener dans une Nairobi congestionnée) pour le Ohuru Parc, qui veut dire « parc de la liberté », haut lieu de l’indépendance du Kenya réalisée en 1963. Sur place, à la cérémonie d’ouverture du FSM, Jean-François a eu l’impression d’un grand party de la Saint-Jean, version internationale. Nous y avons vu des danses africaines, écouté des chants dans plusieurs langues, des poèmes enflammés et des discours plus que militants. Nous avons entendu des dizaines de slogans regroupant un grand nombre de propositions altermondialistes (éducation gratuite, Bush le terroriste, fin de la Banque mondiale, abat la pauvreté, etc.). Au rythme des « viva » et des « foward », une atmosphère extraordinaire de fête régnait dans une foule majoritairement composée de Kenyans et d’Africains (plus de 75% des participants du Forum). Cette fête marquait pour nous tout autant l’ouverture du Forum social mondial que la clôture de notre forum de théologie. Comme nous avons travaillé 10 à 12 heures par jour durant celui-ci, nous avons vécu cette ouverture comme une occasion de célébrer et de décrocher un peu. Nous serons prêt, demain, pour affronter la journée d’ateliers ! Avec grande difficulté, nous nous sommes procurés un catalogue du FSM : un vrai journal de Montréal contenant plus de 1200 ateliers !!! Difficile d’en choisir 12 pour 3 jours !

Nous trouvons extraordinaire de sentir toute cette solidarité dans l’air, une force dans la volonté de changement. Paradoxalement, cette force de la solidarité nous paraît bien fragile : dans un mouvement d’ensemble appelant à un monde meilleur, que nous désirons aussi, il semble y avoir une forte polarisation des positions contre les Bush et compagnie, une polarisation qui s’exprime trop souvent dans un langage guerrier (ennemi, mal, guerre, bataille, victoire) qui reprend exactement la rhétorique de ce qu’il dénonce. Ce genre de rencontre amène aussi son lot de grâces : Michaël et Jean-François ont rencontré par hasard une femme kenyane, une musulmane au visage voilé. Pour la plupart des Québécois, ce voile aurait été l’image de la femme niée, invisibilisée. Pourtant, cette femme travaille depuis des années dans un centre pour femmes et enfants violentées. Dans sa défense en faveur des femmes et des enfants contre le pouvoir masculin et patriarcal (particulièrement policier qui défend les hommes) elle a été mise en prison à 2 reprises. Revêtir le voile est pour elle un symbole de liberté et de foi, même de résistance à l’assimilante culture vestimentaire occidentale. Derrière ce voile, il y avait une femme si souriante, si belle! De quoi questionner notre vision occidentale de la femme voilée.

Un autre de ces moments de grâce a été, toujours pour Jean-François, la rencontre dans le marché d’une religieuse qui n’a rien en commun avec les riches communautés qui vivent autour de notre pension. Sollicité de toutes parts par les vendeurs, il raconte :

Soudain, je me retrouve face à un étalage de beaux objets dont un qui me plairait beaucoup pour un cadeau. La vendeuse est très discrète, très respectueuse. Je me penche vers elle. J’achète quelque chose et pendant qu’elle fait un ajustement sur l’objet, nous poursuivons notre conversation. Je lui parle du Québec, de la Conquête britannique, et elle sourit quand je lui dis que cela nous fait un point en commun. Puis elle me présente sa voisine, « She speaks French ». Une vieille dame, une blanche très âgée, accroupie par terre comme les autres face à ses objets. Elle est française, vivant au Kenya depuis les années 50, c’est une Petite Fille de Jésus : elle vend des choses pour faire vivre sa communauté. On est loin des fastueuses résidences de congrégations de Langata Road où je loge! C’était bien la dernière rencontre que je m’attendais à faire. Je passe du côté des vendeuses, sous les ombrelles, et nous conversons. Cette rencontre me touche beaucoup, les deux dégagent paix et complicité, peut-être prière aussi. En quittant, je donne à la vendeuse le double du prix demandé. « This is for my daughter, which is a nice person, like you. » Je me fais prendre en photo avec elle, elle me donne son adresse postale car elle aimerait que je lui envoie la photographie.

vendredi 19 janvier 2007

Que le christianisme se taise ! Seuls les analphabètes savent lire la Bible

Nous sommes samedi, il est 7 heures du matin. Dehors, les corbeaux croassent régulièrement et les petits oiseaux gazouillent. Il fait frais. D’ici midi, il fera dans les 30 degrés. Tel est l’hiver kenyan à Nairobi ! Le Forum social commence cet après-midi, le forum de théologie et libération se terminait hier avec l’allocution du charismatique Desmond Tutu. Les derniers jours ont été à la fois riches, complexes et épuisant. Alors que mon corps voudrait dormir un peu plus ce matin, je ne peux m’y résoudre : il y a en moi un sentiment d’excitation et de grande urgence.

Les derniers jours, particulièrement mes discussions avec plusieurs Africains et ma découverte des slums, ont été bouleversants : des gens meurent, il faut agir et maintenant ! Nos religions tuent ! Comme le disait une collègue d’Amérique latine qui travaille avec les premières nations de Colombie : les monothéistes patriarcaux ont les mains pleines de sang, ce sont les religions qui ont construit et supportent toujours l’Empire. Combien de Chrétiens vivent de la souffrance et de la mort de leurs pareils sans broncher ? Abraham est mort et ses « fils » devraient simplement se taire et mourir...

Avec plus de modération, le combien touchant théologien coréen Kim Yong-Buck abondait dans le même sens : pourquoi Jésus d’Asie (Nazareth est bien en Asie !), qui s’est levé contre l’imperium romanum et a été condamné à mort par lui, est-il devenu l’Agent romain par excellence par la liturgie, la théologie, les ordres religieux, le cléricalisme, etc. ? Plutôt que d’exhorter au silence les religions impériales, Kim propose une convergence de toutes les fois du monde pour la libération. Selon lui, le dialogue, la coopération et la solidarité interreligieuses ne mènent qu’à des discours creux. Ce n’est pas assez ! Il nous faut converger ensemble en une résistance qui adopte une vision, des actions et des stratégies communes. Il faut se découvrir en agissant pour un but commun.

Évidemment, il s’agit encore de mots, des mots gentils, certes, dont nous avons besoin, mais la convergence dans la réalité est plus difficile. Une fois de plus, c’est de l’ingéniosité du slum que me vient un début d’espoir, ce lieu qui ne déshumanise pas ceux qui sont dedans mais vous et moi qui sommes dehors, qui acceptons passivement la mort de nos pareils ! Comme le disait Desmund Tutu hier soir dans la fougue et les éclats de rire : Toi, oui, toi ! Tu es unique, tu es merveilleuse ! Tu es extraordinaire ! Hihihihi ! Dieu t’aime comme si tu étais la seule personne sur cette terre ! Hahahaha ! Oui, tu es son image, tu es son représentant sur terre ! Dans l’Église catholique, comme dans une bonne partie de l’Église anglicane, nous nous agenouillons devant la présence eucharistique de Dieu. Toi, toi, toi et toi, vous êtes à l’image de Dieu !Devant chacune, chacun, de vous je dois donc faire une génuflexion ! Nier l’humanité de son frère, de sa sœur, est un blasphème ! C’est comme cracher au visage de Dieu !

Or, quel blasphème encore plus grand, pour qui vous qu’à 5 km de différence, entre Nairobi et Kivera, c’est la ouate pour les uns et les ordures pour les autres, le ciel et l’enfer. Comme je disais, c’est du bon Père Alex que me vient une part de réponse sur le rôle de la religion, et de ma religion hégémonique, dans la libération : c’est impossible de lire la Bible à Langata (le cartier où nous vivons que certains nomment aussi le « petit Vatican » puisque la plupart de confessions chrétiennes et maintenant communautés religieuses catholiques y ont leurs séminaires et leurs grandes maisons entourées de clôtures et gardées par des sociétés de sécurité privée… à l’ombre des clôtures de ces nantis, des sous-privilégiés construisent de petites maisons et attendent qu’on leur offre le privilège d’un peu d’eau). Donc, impossible de lire la Bible à Langata, il faut aller à Korogocho, dans le slum. Autrement dit, on ne peut pas lire la Bible dans Rosemont, il faut aller dans Saint-Henri ! Ô paradoxe : comme Jésus en son temps offrit le royaume de Dieu aux prostituées, aux voleurs d’impôts et aux pécheurs, ce sont les analphabètes qui aujourd’hui savent lire la Bible !

Ce même résonnement, on peut le pousser encore plus loin à propos du Forum théologie et libération lui-même : ce ne sont pas les intellectuels et les bien-pensants universitaires avec leurs faramineux salaires qui savent ce qu’est la libération (ou enfin très peu, c’est comme les nantis qui peuvent lire la Bible !). Ces gens doivent être d’une grande humilité, se taire, s’effacer pour laisser la parole aux autres. Ils doivent non les haut-parleurs du système ou de leur propre volonté de pouvoir, mais les porte-parole des réprimés, des exclaustrés, des muets. À cet égard, le FMTL ne fut qu’un début d’ouverture d’un espace de réelle libération et de partage de la parole. Des quatre jours de Forums, 2 ½ jours furent des conférences de spécialistes, ½ journée fut la visite des slums et orphelinats, et une journée fut consacrée aux ateliers. Physiquement parlant, dans la salle de plénière les chaises étaient cordées en rang d’oignons plutôt qu’en cercle. L’espace en était d’avance un de monopole de la parole, la « vérité » venant de devant, malgré tous nos discours sur l’importance du pluralisme comme don de Dieu. Un tel environnement privilégie énormément les Occidentaux aussi (fort heureusement, tout près de la moitié de l’assemblée était africaine !) qui ont l’habitude de gueuler et de débattre. Je doute fort que cette manière de faire ressemble beaucoup aux cultures africaines… il faut faire autrement, collectivement, et que l’Ouest se taise !

jeudi 18 janvier 2007

Du dialogue à la solidarité


À cette heure, nous sommes déjà le 19 janvier, dernier jour du Forum mondial théologie et libération. Ce matin, Denise Couture, membre de la délégation québécoise, avait été désignée pour la quotidienne synthèse théologique de la veille. Voici donc, en traduction libre (de l’anglais), ce que Denise a dit à l’assemblée sur la journée du 18 janvier.


Au début de la journée, nous avons reçu la visite d’enfants et d’adultes qui vivent à Kibera . Ils nous ont présenté un rituel : chants, paroles, prières. Pour nous, ce fut un lien avec la journée précédente et avec la situation d’extrême pauvreté à Nairobi. Le groupe de théologiens et de théologiennes qui avaient pour tâche d’écouter ce qui se passe dans ce forum croit que la visite des bidonvilles de Nairobi par des personnes qui viennent de partout au monde pose des questions d’ordre éthique. On a gardé ces questions ouvertes.

Après le rituel, nous sommes allés participer aux quelques vingt-cinq ateliers, toute la journée. On y a abordé trois types de problématique. Premièrement, sur le contexte kenyan et africain: la culture africaine, la théologie chrétienne africaine, la famille, les traditions, l’héritage spirituel et les églises indépendantes africaines. Deuxièmement, il y a eu plusieurs ateliers à propos d’alternatives et d’actions urgentes en ce qui concerne l’écologie (pour un autre postKyoto, le VIH/SIDA, Kibera et Korogocho (le groupe théologique suggère de trouver un autre mot pour slum (bidonville) qui est des plus péjoratif), le trafic de femmes, des pratiques féministes indigènes alternatives et la construction de paix et de justice. Troisièmement, plusieurs ateliers ont porté sur des théorisations urgentes : le genre, les multiples résistances à l’empire, la façon de construire des convergences entre différentes alternatives, les théologies africaines et indigènes.

Sur le plan de l’expérience, cette journée consacrée aux ateliers a fait ressortir la diversité entre les participants et les participantes à ce forum. Ce fut une journée de liberté et de réseautage. Dans le cadre de leur atelier, plusieurs personnes ont parlé de ce qui était le plus important pour elles et qui, selon elles, pouvait contribuer à créer un autre monde possible. Plusieurs ont parlé avec passion et plusieurs ont écouté avec passion. J’ai profité de la période de repos après le dîner pour demander aux gens : Comment ça va? Comment décririez-vous la journée des ateliers? L’un a dit que l’esprit était parmi nous. Une autre qu’il y avait de l’air, du souffle. On ressentait une fluidité dans les relations et dans les échanges.

Puis vint la plénière. Nous y avons accueilli un groupe de danseurs du nord-est du Kenya. Puis le groupe du Québec a présenté le forum régional tenu à Montréal en novembre 2006, une expérience inspirante pour la continuation du forum. Ensuite, nous nous sommes remémoré chaque atelier en les commentant un à un. Certains ont affirmé que nous avons besoin de nouvelles manières de faire de la théologie et libération. Nous avons remarqué que le dialogue interreligieux n’est pas nécessairement une solidarité, surtout lorsque les personnes placées en situation de dialogue ne sont pas égales entre elles. On a proposé de le remplacer par une articulation d’actions alternatives variées, situées dans lieux pluriels et dans la lignée de diverses traditions spirituelles et religieuses, qui ont en commun de contrer les complicités à l’empire. Un prochain défi consiste à construire des convergences entre les alternatives, tout maintenant un espace de multiplicité entre elles et en chacune d’elle.

Pour honorer la diversité, l’utilisation des quatre langues officielles importe dans ce forum: l’anglais, l’espagnol, le portugais et le français. Mes collègues et moi avons parlé en français hier et avant-hier de manière à résister contre une possible disparition du français au Québec. Aujourd’hui je parle en anglais et j’affirme ainsi que nous avons besoin de multiples stratégies pour résister aux structures de l’empire. Celles-ci nous rattrapent subrepticement si l’on s’en tient à une seule stratégie de résistance.

Par la suite, après la plénière nous avons pris l’autobus pour nous rendre dans un hôtel de Nairobi pour un souper festif. J’entendais des gens sympathiser bruyamment. Apparemment les personnes étaient enthousiastes. Pour moi, le voyage en autobus a été un moment de joie complète accompagnée de Teresa, qui vit au Nigeria. Le souper fut une célébration : du vin, des amis, de superbes danses africaines et certains parmi nous ont dansé aussi. Au retour, dans l’autobus, nous avons chanté des chansons dans différentes langues.

Ce deuxième forum Théologie et libération se présente comme une transition en ce qui concerne la méthodologie. Le prochain forum s’alignera-t-il de plus près à la façon de faire du forum social? Nous ne le savons pas, mais nous savons que le jour des ateliers, des échanges libres et des propositions multiples d’alternatives fut un jour joyeux, créatif et marqué par la fluidité.

Quand le plus beau sort de la « dompe »

(Ce texte a été écrit après une autre tardive conversation avec Angela.)

« Les Africains sont les êtres les plus religieux au monde et les plus abusés. Est-ce dire que l’irréligion est la clé du succès et la religion le secret de l’esclavage ? » Ces paroles de Philomena Mivaura sont de la dynamite… Elles parlent de la profondeur d’âme de l’Afrique où sous les façades euro-chrétiennes et arabo-musulmanes, se tapit un trésor : le riche patrimoine des cultes, des mythes et des cosmologies animistes qui situent l’humain non au-dessus mais au milieu de la création (j’espère avoir le temps d’y revenir plus tard, nous avons tant à apprendre nos ancêtres africains, tout comme des Amérindiens !). En fait, il faut qu’un peuple ait l’âme d’une profondeur inouïe pour continuer à croire et même pour croire encore plus face à l’esclavage auquel les acteurs du système économique actuel l’ont condamné. Les slums comme on les appelle ici (ou bidonvilles) en sont le meilleur exemple : peut-on imaginer plus profonde déshumanisation ? Laissez-moi vous tracer un portrait.

Après les présentations de ce matin sur l’Afrique et son contexte, nous avons pris l’autobus pour découvrir sur le terrain le contexte africain et le néolibéralisme : certains allèrent visiter un bidonville, d’autres un orphelinat et les derniers une entreprise collective de prise en charge. Si la rencontre des sœurs de mère Teresa à Huruma et de la centaine d’orphelins dont elles prennent soin (la plupart atteints de paralysie cérébrale) fut pour moi bouleversante, ce ne fut rien à côté de l’indignation d’Angela, Normand et Jean-François suite à leur visite de Korogocho. Bidonville situé aux côtés du dépotoir de Nairobi, les gens qui y vivent supportent une odeur pestilentielle. Jean-François raconte qu’il en avait les larmes aux yeux à retenir ses nausées. Dans les rues dévalent des enfants, petits et grands, qui lancent des « Hi ! How are you ? » sous le regard acéré des vautours qui dessinent dans le ciel la spirale funeste de la pauvreté. Les maladies de toutes sortes, le SIDA en tête de procession, rongent nos semblables. Pas surprenant quand l’on considère que l’eau qu’ils boivent tuerait n’importe quel blanc qui tenterait d’en consommer un tant soit peu. Quelques bouts de tôle pour maison, ils sont 120 000 entassés sur un kilomètre carré !

Ainsi décrit, le fatum de Korogocho semble sans espoir et la culpabilité de tous les acteurs du système économique mondial (vous et moi, nos dirigeants, nos entreprises), sans fin. Et pourtant, au cœur du plus inhumain, d’une kénose encore plus radicale que celle du Christ (Jésus n’était pas sidatique aux dernières nouvelles, et l’eau de la mer de Galilée n’était pas mortelle à consommer), surgit l’inattendu. Il y a 20 ans, un prêtre catholique, le Père Alex, vient s’installer dans le bidonville. Sous son leadership catholique, anglicans, pentecôtistes et autres Églises locales commencent à travailler ensemble dans un esprit œcuménique incroyable qui met en lumière en un regard tout le ridicule de nos chicanes doctrinales. Graduellement, les Églises (micro-États en bataille dans Kogorocho puisque le gouvernement kenyan ne reconnaît la slum que lorsqu’il est temps de percevoir les taxes foncières) jadis en bataille pour retenir leurs fidèles commencent à agir ensemble et à s’entraider : preachers, pasteurs, prêtres, hommes et femmes. Ils décident de comprendre avec leurs fidèles POURQUOI ils vivent dans un bidonville. Plutôt que d’entretenir les discours victimologiques, ils deviennent des acteurs. Oui ! un ventre creux peut comprendre sa place dans l’économie mondiale et pourquoi on le condamne à l’immonde. La résurrection surgit alors, miracle inusité, inattendu, impossible au cœur de l’atrocité souffrante : les gens commencent à s’entraider, à s’éduquer et à combattre ensemble le système qui les ignorent. Incroyablement, le fumier de Korogocho devient un composte où fleurit une humanité conscience.

Pendant ce temps, subversivement, le monde surprivilégié du Nord est à pourrir… Obsédé par sa richesse, possédé des démons de consumérisme, rongé de l’intérieur par son nihilisme grandissant qui permet au Québec de détenir un taux de suicides recours chez les jeunes hommes, l’âme occidentale ressemble de plus en plus au dépotoir de Korogocho. À preuve : elle lève le cœur, et jusqu’aux larmes, à une bonne partie de l’humanité. Évidemment, victimiser ou culpabiliser ne rend pas acteur, cela ne fait que paralyser. Fort heureusement, Korogocho nous apprend que c’est de la « dompe » que sort ce qu’il y a de plus beaux, que c’est là, inch’Allah, que commence l’autre monde possible.

mercredi 17 janvier 2007

Alors qu’il pleut en janvier à Nairobi et qu’il fait chaud à Montréal…


Voici un texte écrit par ma collègue Angela. De Nairobi, à tour de rôle après avoir partagés nos émerveillements, angoisses et émotions, chacun écris sur la journée. Voici ses réflexions suite à la journée d'ouverture du FMTL hier. N'hésitez pas à nous envoyer vos commentaires. Nous y répondre si Internet le permet.


Cette nuit, il a plu très fort ici à Nairobi. Le matin était frais et humide, mais les kenyans s’inquiètent. Pas normal qu’il pleuve en janvier. L’herbe est verte alors qu’elle devrait avoir séchée, de même qu’à notre départ, les rues de Montréal étaient plus grises que blanches.

Ce fut aujourd’hui l’ouverture du Forum Mondial de Théologie et Libération. Nous sommes à quinze minutes de marche du Centre carmélite où se tiennent nos rencontres. Ce fut un chemin fébrile, comme quand on sent que quelque chose d’important se prépare. La route accidentée et pleine de boue arrivait pile sous nos pieds, comme pour nous dire que le chemin sera comme ça : difficile et parfois salissant. Nous avons donc mis nos pieds en route, nos pas devenant de plus en plus lourd au fur et à mesure que la boue nous collait aux semelles...

La journée s’est commencée sous le rythme des chants et mouvements d’une chorale locale qui nous a rappelé notre tabou corporel. Nous avons prié, nous avons pris le temps de le faire avant un quelconque discours. Nous avons ensuite dit avec des mots, si bien composés, l’unité que nous recherchons ici pour le monde. En voici les premières phrases :

We call upon the earth and the sky to bear witness to the reverence with which we come… we present humbly in the name of all created things,… the earth our mother, …of the rivers and the great waters we crossed to get here, … of the deserts that bring peace and remind us of our vulnerability, of the sea and the sky which remind us of your greatness… we present ourselves to you… Yahweh, our God, the Father of all, the Creator, the Mother, the Nurturer, most holy and most dear.

Cet acte de dire « nous voici », de nous présenter à Dieu, à cette communauté internationale, fut un don extraordinaire. Nous entendre, nous présenter les uns les autres, humblement et en communion avec la terre, tous là avec tout ce que nous sommes… il fallait que ça commencer ainsi, il faudra que nous le refassions continuellement. Notre mantra commun : « I am somebody and I can do something. »

Cette prière, de même que les présentations qui ont suivi pendant la journée, étaient en anglais et cela a suscité un fort questionnement parmi nous, les six délégués du Québec, qui avons vécu cette situation de manière particulière. Nous en avons longtemps parlé et la question de la langue hégémonique surgit inévitablement. Ce fut une occasion de commencer ce forum en nous situant, ou en essayant du moins de nous positionner. Nous voir, sensibles à cette lutte qui nous est propre au Québec, fut unificateur. Et aussi, le fait de nous rappeler que la langue de chacun a une immense valeur devrait nous amener à nous solidariser avec ceux à qui on tente de l’arracher. La question, pour nous en tout cas, demeure ouverte…

Alors que tous se sont déplacés pour que nous nous retrouvions ici, ensemble nous nous demandons encore : que faisons-nous ici ??? Plusieurs pistes se dessinent ; les idées de réseautage et de renforcement de nos espérances semblent importantes. La diversité des personnes ici présentes illustre la diversité de nos luttes qui peinent à se rencontrer. Il y a tant de questions urgentes dans le monde mais l’exercice de priorisation des luttes semble nous essouffler, parfois nous diviser. Comment retrouver le souffle, dans chaque expérience, et comment solidariser nos engagements ? Comme on se l’est demandé aujourd’hui, faisons-nous partie de la solution ou du problème ? Ou des deux ?

Et enfin, alors qu’il pleut en janvier à Nairobi et qu’il a fait chaud à Montréal ; alors que les Africains subissent sur leur continent les conséquences directes des changements climatiques ; alors qu’ils se demandent « Qu’avons-nous donc fait? » ; alors que nous prenons conscience de notre rôle dans leur sort, comment faire théologie ? Comment apprendre à penser ensemble une spiritualité pour un autre monde possible ? Il semble que nous arrivions tous dans l’espérance de découvrir comment chacun, sur son coin de planète arrive à y croire. Comment ? Je ne le sais pas exactement ; ensemble forcément. Mais est-ce possible ? Oui, oui, oui. C’est l’acte de foi que nous vivons ici. Croire que c’est possible.

lundi 15 janvier 2007

2,5 millions d’être humains inexistants, 2,5 millions de débrouillardises quotidiennes

Jambo rafiki ! Bonjour mon ami, en kiswahili (la deuxième langue officielle, après l’anglais, de la République du Kenya) ! Après 18 heures d’avion et d’attente aux aéroports, me voici sur cette terre d’Afrique : terre si belle avec son odeur de terre rouge, sa végétation de palmiers et d’ibiscus gorgés d’eau et de soleil, sa population belle, fière et si accueillante ! Asante sana ! Karibu ! (Merci beaucoup, je t’en prie !) En même temps, me voici sur une terre pillée de ses ressources (le pétrole, les mines, les forêts) et violée en sa chair (populations affamées, vente d’armes, trafic humain) par ma civilisation qui dit respecter les droits humains chez elle, mais les viole à l’étranger. Peau blanche au milieu de la marée noire, me voici à Nairobi, moi le descendant de colons français, le complice chez moi du génocide des 60 000 Amérindiens survivants, le complice ici d’un système économique qui tue. Me voici, descendant d’un avion blanc à 95%, parmi la cohorte de mes semblables venue se dépayser en safari, comme si les animaux et la jungle avaient plus d’intérêts que les humains d’ici. Ce soir, comment puis-je me brosser les dents et prendre ma douche alors que je sais l’eau est si précieuse ici ? Comment puis-je manger dans la joie mes bananes achetées sur le bord du chemin pour presque rien à cette femme qui n’aura peut-être pas l’essentiel pour nourrir sa famille ?

Cette femme, il est fort probable qu’elle retourne au couché du soleil à Kyvera, un immense bidonville aux portes de Nairobi où plus de 2,5 millions d’êtres humains tentent de vivre et de survivre. Je dis « êtres humains », mais je brise déjà la loi du silence : bien que ces humains comptent pour la moitié des habitants de Nairobi, leur « quartier » ne figure sur aucune carte géographique et le gouvernement kenyan n’entretient aucune relations avec eux…
Au bord de la cité, 2,5 millions d’oubliés…
Au seuil de la rutilante Nairobi, 2,5 millions d’ombres humaines tapies...
Au côté de la performante vantardise, 2,5 millions de quotidiennes débrouillardises

Me voici, le riche, devant le bidonville. J’y serai jeudi pour le visiter avec sœur Bégonias, dans le cadre du Forum théologie et libération.
Me voici, le blanc pro-occidental, au cœur d’un continent qu’on préfèrerait souvent ne pas mettre sur la carte (d’ailleurs, on n’en parle pas à l’école) comme Kyvera.
Me voici, l’intello du Nord qui ignore tout du Sud, devant la beauté du Kenya et de ses 42 communautés culturelles (que certains nomment tribus) et de leurs coutumes particulières.
Me voici, le catholique inconfortable avec son Église, devant cette Nairobi aux multiples fois : celle des hindous, des sikhs, des musulmans, des chrétiens, des bahaïs…
Me voici, être humain parmi les humains, animal parmi les lions, les éléphants, les guépards, les gazelles, les hippopotames, vivant parmi les palmiers, les sycomores, les grandes herbes et les bananiers…
Me voici, pour transformer ma honte colonialiste et mes privilèges en solidarité partagée, en espérance communautaire qui dépasse toutes les guérillas.
Me voici dès demain avec 200 femmes et hommes d’Afrique, d’Europe, des Amériques et d’Asie pour aborder les spiritualités à développer et nourrir pour un monde différent…
Me voici, dans 5 jours, avec 100 000 hommes et femmes du monde, pour poser ma pierre, dans une conscience globale, à la construction d’un autre monde possible, d’un monde paix.

dimanche 7 janvier 2007

Le monde vu de Nairobi par des théologien(ne)s de la libération



Hakouna matata? Vous connaissez la formule du Roi lion, j'en suis sûr! Ou bien le mot safari? Oui, oui! C'est du swahili, la seconde langue officielle du Kenya où je serai dans quelques jours! Le décompte est lancé! Je décole samedi prochain, le 13 janvier 2007, pour Nairobi en compagnie de 5 collègues engagés dans la théologie contextuelle (pour en savoir plus sur les théo contextuelles, vous pouvez consulter le texte baptisé Quand des femmes, des pauvres et… des étudiants s’emparent de la théologie! Regard sur les théologies contextuelles):

- Angela Gabriella Aurucci (étudiante), Denise Couture (prof) et Jean-François Roussel (prof), sont tous membres du CETECQ (Centre d'éthique et de théologie contextuelles québécoises de l'Université de Montréal), un centre qui se veut un carrefour à l'UdM afin que des praticiens et des théologiens réfléchissent à leurs pratiques sociales comme lieu d'une théologie propre au Québec (pour en savoir plus: www.theo.umontreal.ca/cetecq.htm
- de leur côté, Normand Breault (de l'Association catholique contre la torture) et Jean Bellefeuille (responsable du dossier justice, paix et intégrité de la création à la Conférence religieuse canadienne) sont tous deux délégués du ROJeP (Réseau oecuménique justice et paix), un rassemblement de plus de 40 groupes montréalais engagés dans une transformation sociale au nom de leur foi chrétienne (pour en savoir plus sur ces groupes: www.justicepaix.org/


Nous partons donc du 13 au 30 janvier pour participer à Nairobi, la capitale du Kenya, au Forum mondial théologie et libération (un rassemblement international de plus de 200 praticiens et théologiens aux discours des plus colorés!) du mardi 16 au vendredi 19 janvier. Ensuite, du samedi le 20 jusqu'au jeudi 25 janvier, nous participerons au Forum social mondial un des plus imposant rassemblement altermondialiste de la planète qui rassemblera plus de 50 000 citoyens du monde sous le thème “Luttes du peuple, alternatives du peuple".

Je me ferai donc un plaisir sur place de vous faire un rapport quotidien, avec la collaboration d'Angela, de mes découvertes et des possibilités pour construire un autre monde possible à compter de lundi le 15 janvier prochain! Ne vous gênez pas pour me faire vos commentaires également! Enfin, vous pourrez aussi consulter les photos prises sur place dans mon "blogue photos" au http://www.flickr.com/photos/idealiste-convaincu/. À suivre!