jeudi 18 janvier 2007

Quand le plus beau sort de la « dompe »

(Ce texte a été écrit après une autre tardive conversation avec Angela.)

« Les Africains sont les êtres les plus religieux au monde et les plus abusés. Est-ce dire que l’irréligion est la clé du succès et la religion le secret de l’esclavage ? » Ces paroles de Philomena Mivaura sont de la dynamite… Elles parlent de la profondeur d’âme de l’Afrique où sous les façades euro-chrétiennes et arabo-musulmanes, se tapit un trésor : le riche patrimoine des cultes, des mythes et des cosmologies animistes qui situent l’humain non au-dessus mais au milieu de la création (j’espère avoir le temps d’y revenir plus tard, nous avons tant à apprendre nos ancêtres africains, tout comme des Amérindiens !). En fait, il faut qu’un peuple ait l’âme d’une profondeur inouïe pour continuer à croire et même pour croire encore plus face à l’esclavage auquel les acteurs du système économique actuel l’ont condamné. Les slums comme on les appelle ici (ou bidonvilles) en sont le meilleur exemple : peut-on imaginer plus profonde déshumanisation ? Laissez-moi vous tracer un portrait.

Après les présentations de ce matin sur l’Afrique et son contexte, nous avons pris l’autobus pour découvrir sur le terrain le contexte africain et le néolibéralisme : certains allèrent visiter un bidonville, d’autres un orphelinat et les derniers une entreprise collective de prise en charge. Si la rencontre des sœurs de mère Teresa à Huruma et de la centaine d’orphelins dont elles prennent soin (la plupart atteints de paralysie cérébrale) fut pour moi bouleversante, ce ne fut rien à côté de l’indignation d’Angela, Normand et Jean-François suite à leur visite de Korogocho. Bidonville situé aux côtés du dépotoir de Nairobi, les gens qui y vivent supportent une odeur pestilentielle. Jean-François raconte qu’il en avait les larmes aux yeux à retenir ses nausées. Dans les rues dévalent des enfants, petits et grands, qui lancent des « Hi ! How are you ? » sous le regard acéré des vautours qui dessinent dans le ciel la spirale funeste de la pauvreté. Les maladies de toutes sortes, le SIDA en tête de procession, rongent nos semblables. Pas surprenant quand l’on considère que l’eau qu’ils boivent tuerait n’importe quel blanc qui tenterait d’en consommer un tant soit peu. Quelques bouts de tôle pour maison, ils sont 120 000 entassés sur un kilomètre carré !

Ainsi décrit, le fatum de Korogocho semble sans espoir et la culpabilité de tous les acteurs du système économique mondial (vous et moi, nos dirigeants, nos entreprises), sans fin. Et pourtant, au cœur du plus inhumain, d’une kénose encore plus radicale que celle du Christ (Jésus n’était pas sidatique aux dernières nouvelles, et l’eau de la mer de Galilée n’était pas mortelle à consommer), surgit l’inattendu. Il y a 20 ans, un prêtre catholique, le Père Alex, vient s’installer dans le bidonville. Sous son leadership catholique, anglicans, pentecôtistes et autres Églises locales commencent à travailler ensemble dans un esprit œcuménique incroyable qui met en lumière en un regard tout le ridicule de nos chicanes doctrinales. Graduellement, les Églises (micro-États en bataille dans Kogorocho puisque le gouvernement kenyan ne reconnaît la slum que lorsqu’il est temps de percevoir les taxes foncières) jadis en bataille pour retenir leurs fidèles commencent à agir ensemble et à s’entraider : preachers, pasteurs, prêtres, hommes et femmes. Ils décident de comprendre avec leurs fidèles POURQUOI ils vivent dans un bidonville. Plutôt que d’entretenir les discours victimologiques, ils deviennent des acteurs. Oui ! un ventre creux peut comprendre sa place dans l’économie mondiale et pourquoi on le condamne à l’immonde. La résurrection surgit alors, miracle inusité, inattendu, impossible au cœur de l’atrocité souffrante : les gens commencent à s’entraider, à s’éduquer et à combattre ensemble le système qui les ignorent. Incroyablement, le fumier de Korogocho devient un composte où fleurit une humanité conscience.

Pendant ce temps, subversivement, le monde surprivilégié du Nord est à pourrir… Obsédé par sa richesse, possédé des démons de consumérisme, rongé de l’intérieur par son nihilisme grandissant qui permet au Québec de détenir un taux de suicides recours chez les jeunes hommes, l’âme occidentale ressemble de plus en plus au dépotoir de Korogocho. À preuve : elle lève le cœur, et jusqu’aux larmes, à une bonne partie de l’humanité. Évidemment, victimiser ou culpabiliser ne rend pas acteur, cela ne fait que paralyser. Fort heureusement, Korogocho nous apprend que c’est de la « dompe » que sort ce qu’il y a de plus beaux, que c’est là, inch’Allah, que commence l’autre monde possible.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Décidément, votre présence en Afrique marquera un tournant pour plusieurs. À vous lire, il semble que ce ne soit pas la laideur, la puanteur de la pauvreté que vous rencontrez, plus encore l'état inhumain dans lequel vivent (!) les habitants de Nairobi qui retiennent votre attention, mais le grand récit que portent ces gens.

La pauvreté crée un choc bouleversant lorsque le regard des riches la rencontre. La réaction spontanée incite à fermer les yeux ou à fuir. Votre message d'aujourd'hui nous dit qu'il ne faut pas se méprendre; le premier geste consiste à garder les oreilles ouvertes. Ainsi, des paroles inédites racontent une grande histoire qui s'écrit autrement, malheureusement dans le ressac de nos choix de riches.

Lorsque des Pères Alex et ces autres agissent, le Règne de Dieu est présent! Votre témoignage est touchant.

Bravo Michaël! Un magnifique texte qui donne à penser.

Je te suis.

Alain