dimanche 21 janvier 2007

Du FSM, rêver l’autre monde… Entre le cirque et la solidarité…


(Ce texte a été écrit par ma collègue Angela Gabriella Aurucci.)

Ce soir, alors que Michaël et moi avons pris le temps doucement de nous parler, nos cœurs se sont ouverts peu à peu pour découvrir une même fébrilité. La journée et la semaine ont été longues; le temps s’ellipse étrangement. En raccrochant le téléphone, je sens la distance des gens que j’aime, j’entends leur curiosité de nos nouvelles. De loin, ils rêvent avec nous, et désormais, nous savons que nous avons aussi des lecteurs qui sont du même rêve. C’est bon de savoir que nous formons ainsi une communauté de la parole; nous annonçons ce que nous recevons ici et déjà, vous entrez aussi dans le mouvement. Nous expérimentons ici les distorsions de temps et d’espace, typiques d’un séjour qui commence et se termine déjà, d’une terre lointaine mais qui vibre au plus profond de nous.

Ce soir, Denise est partie et notre délégation semble coupée de moitié, vidée d’une partie de son cœur. J’ai senti un instant d’effritement, un bris soudain de l’équilibre que nous avions créé entre nous. Après la fête hier, son départ marque le passage que nous vivons du Forum mondial de théologie et libération au Forum social mondial. Nous passons du petit, du particulier, de la communauté, à la masse, à l’anonymat, au collectif.

Ce fut donc aujourd’hui le véritable début du Forum social mondial. Quelques 300 ateliers nous étaient proposés, de 8h30 à 20h00. Munis du programme pour la semaine (qui fait 165 pages!) nous avons chacun pris notre chemin vers l’une ou l’autre présentation. Tournant en rond autour du Moi International Sports Complex – le stade qui sert de lieu de rassemblement – nous nous trouvions face au difficile choix de « magasiner » les causes. Nous avions bel et bien les pieds dans un « global Jukwaa » (kiswahili pour dire une plateforme internationale).

En ce moment, plutôt que de vouloir répertorier les discours qui nous ont touchés, ou les slogans activistes qui nous laissaient parfois sceptiques, plutôt que de livrer les problématiques urgentes qui nous ont fait pleurer, ce soir, avant tout cela, il y a dans nos voix une sensibilité qui n’y était pas les jours précédents. Je crois que nous nous situons à ce point de tension entre le cirque et la solidarité, comme si le rêve se fragmentait et se complexifiait devant nos yeux. Au forum de théologie, nous avons vécu une semaine où nos différences s’harmonisaient, se fécondaient plutôt bien. Non pas qu’elles aient été dissimulées, puisque nous avons partagé la diversité de nos héritages. Mais il semblait qu’il y avait un désir commun, un rêve commun d’une solidarité qui converge vers la libération. Nous avons partagé un acte de foi, nous avons cru ensemble qu’une spiritualité qui priorise la vie nous aiderait à faire advenir cet autre monde.

Ici au Forum social mondial, il y a également un acte de foi qui se fait. L’autre monde est possible, c’est du moins ce que l’on se dit les uns les autres, de plus en plus fort. Mais demeure toujours cette question du comment. Elle est chaude cette question, puisque justement, il n’y a pas une seule façon. Toute une palette de résistances, militantismes ou pacifismes nous est exposée ici, et tous nos paradoxes et ambiguïtés sont à fleur de peau. L’autre monde dont nous rêvons ne se vit pas forcément ici, même au Forum social mondial. Il n’est pas tout à fait là, mais presque déjà là aussi. Nous nous demandions, Michaël et moi, encore et toujours, pourquoi nous sommes là. Comment tenir, alors que même ici, dans cette célébration du rêve, nous avons du mal à « être autrement »? Comment risquer une parole alors que le geste ne la soutient pas?

Dans la joie, tout de même, nous apprenons à rire, à pleurer et à nous pardonner nos incohérences. Nous avons hâte de rentrer chez nous pour vivre, dans le petit, dans nos relations, un peu déjà des communautés de paix. Nous avons hâte de nous mettre à créer du beau, nous avons les poumons prêts à crier avec ceux que nous n’écoutons pas. Nous voulons vite devenir des artisans d’amour, nous repartirons pleins de foi, convaincus de notre rôle de co-créatrices, co-créateurs. Je pense que notre présence ici a un sens. Peut-être est-elle moins personnelle que collective, peut-être qu’elle fait partie de ces multiples espaces de lutte, de partage et de don. En tout cas, notre présence ici nous lie de plus en plus aux autres, elle nous rappelle la diversité qui habite la Terre et qui nous habite nous-mêmes.

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