samedi 1 juillet 2006

Récit d’un voyage de dialogue inter-visionnel à Jérusalem : le choc du dialogue authentique




Ce texte a originellement été publié dans le rapport annuel 2005-2006 de la Chaire religion, culture et société de la Faculté de théologie et de science des religions de l'Université de Montréal.



On parle beaucoup de dialogue dans notre monde : dialogues intergénérationnel, culturel et religieux. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si on entend tout autant parler de choc que de dialogue de nos jours : c’est que le choc est inhérent au dialogue authentique, ou plutôt qu’il en est une étape préalable que l’on a tendance à oublier! Enfin, c’est une des leçons que je retire du voyage de dialogue «inter-vision du monde» à Jérusalem auquel j’ai participé du 4 au 17 juin dernier avec 35 autres participants du Québec. Sous l’initiative du professeur Patrice Brodeur et de toute une équipe, ce voyage avait pour but de vivre une expérience de dialogue « en direct » via la rencontre d’artisans de paix, autant Israéliens que Palestiniens, principalement autour de Jérusalem. De plus, afin de vivre entièrement les défis et la complexité d’un tel dialogue, le groupe était formé de chrétiens, de juifs et de musulmans, tout comme de gens s’identifiant à d’autres religions ou ne se définissant pas comme croyants au sens strict.

C’est donc dire que notre « tentative de dialogue » se déroulait simultanément à trois niveaux : entre les membres du groupe, entre le groupe et les différentes organisations qui nous accueillaient, et enfin entre ce que les organismes israéliens et palestiniens rencontrés tentent de bâtir avec leurs semblables. Au cœur de ces trois dialogues, de nombreuses problématiques très peu « politiquement correctes » ont surgi : des questions comme celles de la colonisation, du racisme, de la victimisation, de la violence, du droit à la liberté et à la sécurité, etc. Ces questions, plutôt que d’être esquivées, ont justement été discutées de vive voix, à 36 voix, dans le groupe… parfois dans la confrontation, parfois dans l’harmonie, provoquant des prises de conscience souvent souffrantes, mais combien essentielles.

En somme, ce voyage a radicalement transformé ma vision du dialogue et m’a ouvert de la complexité de tout conflit, surtout lorsque l’Occident y est impliqué. Moins idyllique, le dialogue auquel je crois aujourd’hui nécessite le choc, la rencontre déroutante de l’autre qui amène à la compréhension mutuelle. Un dialogue qui ne serait que ouate, il me semble, n’est qu’un monologue à plusieurs voies où tous répètent le même discours ou évitent les enjeux les plus périlleux. Notre groupe est souvent tombé dans cet écueil. D’autre part, le choc de la rencontre avec des Palestiniens et l’écoute des membres algériens de notre groupe m’a fait prendre conscience de mon identité occidentale, dans ses grandeurs et ses méandres, particulièrement la prétention impérialiste qui nous caractérise. Que ce soit en construisant des murs de sécurité (en Israël comme aux États-Unis), à travers les discours universitaires paternalistes et évolutionnistes ou encore via notre rhétorique économique du développement, l’Occident est demeuré colonisateur. Cet impérialisme se joue à l’intérieur même de la société israélienne où les juifs séfarades (provenant du Moyen-Orient) sont marginalisés par la majorité ashkénaze (provenant d’Europe). Évidemment, l’Occident n’a pas tous les blâmes – et particulièrement en Israël – mais vu le pouvoir imparti entre nos mains, je suis convaincu qu’entreprendre tout dialogue avec des non-Occidentaux implique d’avance une autocritique militante. Quant à mes interlocuteurs, ils nourrissent sans doute de similaires autocritiques. Pour paraphraser le rabbin étasunien Irving Greenberg, militant pour la paix à Jérusalem : l’important n’est pas la tradition à laquelle j’appartiens, mais d’être embarrassé par elle, par le mal qu’elle commet aux autres [i]. C’est là la base du dialogue authentique.

[i] Irving Greenberg, « Religion as a Force for Reconciliation and Peace : A Jewish Analysis » dans Beyond Violence : Religious Sources of Social Transformation in Judaism, Christianity, and Islam, sous la dir. de James L. Heft, New York : Fordham University Press , 2004, p. 111.

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