samedi 4 août 2007

Comment ne pas perdre son âme sous l’occupation?


J’aimerais vous partager aujourd’hui toute la douleur que j’éprouve de vivre ici l’humiliation quotidienne de l’occupation avec les Palestiniens. Pourtant, je ne trouve pas les mots pour vous faire pénétrer dans ce drame que l’on cache si bien au monde derrière la façade de la « sécurité » et du « terrorisme ». Loin de moi la prétention de détenir des solutions ; je me sens plutôt perdu au milieu des check points, des routes de contournement, des couvre-feux, des colonies, du mur et des démolitions de maisons. Pourquoi tout cela ? Comment réagirais-je si l’on démolissait ma maison et que l’on m’envoyait la facture ensuite ? Si, une fois malade, on me disait d’attendre une semaine « l’invitation » d’un hôpital pour y séjourner ? À défaut de trouver mes mots, j’aimerais vous raconter deux histoires…

Une maison à Jérusalem-Est, à 10h30, un mardi matin
La première histoire est celle d’une famille de 19 personnes qui n'a pas beaucoup d'argent et qui construit une annexe au 3e étage de sa maison, tout simplement parce les parents n’ont pas les moyens de louer un appartement pour leurs enfants. Or, comme les Palestiniens peuvent très difficilement obtenir un permis de construction dans Jérusalem-Est (contrairement aux Israéliens qui construisent des colonies illégales un peu partout), la police et l'armée viennent à leur gré détruire ce qui a été construit sans permis, soit 40% des maisons. Selon Jeff Halper, le fondateur d’ICAHD, cela fait partie de la stratégie israélienne qui vise à annexer Jérusalem-Est (par le mur qui l’encercle), à la vider des Palestiniens (par la destruction de maisons) et à la judaïser (par la construction de colonies). Enfin, je laisse aux universitaires-chercheurs, aux journalistes et aux politiciens débattre de cette question, mais il n’en reste pas moins qu’ici, les gens vivent une insécurité terrible. À chaque fois qu’ils quittent leur maison, ils ne sont pas sûrs qu'elle sera debout au retour et pour la plupart, c’est tout ce qu’ils ont ! Mardi matin, donc, la police a expulsé la famille David de leur logis pour en démolir le 3e étage (voir la photo). Selon un cousin avec qui nous avons discuté, deux des fils et le père ont même été envoyés à l'hôpital à la suite des blessures subies lors de l’expulsion. Mes collègues et moi avons été témoins de la démolition, dans l’impuissance, n’ayant pour seul recours que la caméra et le crayon… D’ici quelques semaines, cette famille recevra la facture pour cette démolition.


Au check point de Qalandia, à 16h30, un jeudi soir
Et l’histoire de cet homme privé de son identité. Nous venions de sortir du check point pour nous rendre à Birzeit (à quelques kilomètres de Ramallah) au moment où l’homme nous est apparu. Il était vêtu très modestement et il y avait les yeux très rouges. Il ne parlait qu’en arabe. À l’improviste, nous demandons aux gens autour de nous « tak inglisy » (vous parlez anglais ?) jusqu’à ce que nous trouvions un traducteur. On comprend alors que l’homme, Adil de son prénom, a un problème aux yeux et qu’il doit se rendre à Jérusalem pour se faire soigner. Le hic, c’est que pour traverser de la Cisjordanie à Jérusalem-Est, il faut un permis pour quiconque n’a pas de carte d’identité de Jérusalem. Comme nous l’expliquait William Hadweh, le chef des soins infirmiers à l’hôpital Augusta Victoria (voir photo), pour avoir des soins, il faut d’abord une invitation de l’hôpital puis attendre que les autorités militaires israéliennes en territoires palestiniens occupés émettent le permis (ce qui prend environ une semaine). Plutôt que d’attendre une semaine pour obtenir ce permis, Adil a choisi de sauter par-dessus le mur à Ar-Ram. Or, il s’est fait prendre. Normalement, quand quelqu’un tente d’entrer illégalement en Israël, il peut être détenu trois heures puis relâché. S’il récidive, il peut être mis en prison. Dans le cas d’Adil, les soldats ont illégalement décidé de lui confisquer sa carte d’identité, question de « jouer avec lui », selon les paroles de Tamar Avraham de Machsom Watch. On lui a alors dit d’aller récupérer sa carte au check point de Qalandia. Il était 10 heures le matin.


À 16h30 nous sommes intervenus, non pas pour que l’homme soit traité, mais pour qu’il puisse récupérer sa carte d’identité et rentrer chez lui (comme il est de Bethléem, il a besoin de sa carte d’identité pour franchir le check point dit « container », seule façon de faire le trajet Nord-Sud de Cisjordanie sans passer par la Jérusalem emmurée). Après trois heures de multiples démarches (Machsom Watch, Croix-rouge, Hamoked et ligne humanitaire de l’armée israélienne), il a fallu se rendre à l’évidence que rien ne pouvait être fait. La carte d’Adil n’était pas à Qalandia, l’armée ne la trouvait nulle part et, comme le vendredi et le samedi constituent la fin de semaine en Israël, il devait donc se rendre dimanche au bureau de l’administration militaire du district de Bethléem pour se procurer une nouvelle carte. Vous me direz : comment est-il retourné chez lui ? En faisant un grand détour par le désert pour ne croiser ni mur, ni check point, ni soldat… in sha Allah !

Apprivoiser sa souffrance et sa colère
Il y a des jours où mon cœur saigne tellement devant toute la souffrance des Palestiniens. J’en fais des cauchemars la nuit. J’ai tant à me battre contre moi-même pour ne pas devenir violent ou agressif. À chaque fois que je mets les pieds à Jérusalem-Ouest, la Jérusalem juive, une telle colère m’envahit parce que je vois à quel point les autorités municipales négligent sa voisine, la Jérusalem arabe… Lorsque ça prend 45 minutes pour traverser un check point et que des soldats «beuglent» quoi faire en hébreu par des haut-parleurs au maximum et que tout le monde se bouscule pour passer trois par trois au tourniquet (voir la photo), il est dur de garder son calme. Souvent, je pense à mon père qui prend si bien soin de ses vaches et je regarde comment les gens sont traités ici… Je regarde ces soldats qui sont aussi prisonniers de la machine, la mitrailleuse nonchalamment en bandoulière, et je rage contre l’architecte du check point, contre le gouvernement du check point, contre la communauté internationale du check point. Je suis moi aussi un numéro au check point, un peu moins humain à chaque fois que je le traverse.


Le dur défi de s’ouvrir les yeux
Heureusement, l’accueil des Palestiniens et leur courage depuis plus de 60 ans d’humiliation, la détermination de plusieurs Israéliens qui consacrent leur vie à lutter contre toutes les injustices commises par leur pays, la présence d’internationaux lucides qui n'achètent pas le discours du premier venu et qui tentent réellement de comprendre la complexité des retombées de chaque geste posé ici comme ailleurs, tout cela me redonne tellement d’énergies. Mes amis québécois, ma famille, jouent aussi un rôle important pour que je n'y perde pas mon âme. Il est si difficile de déconstruire toute la propagande qu’on entend en Amérique du Nord comme en Israël à propos du conflit israélo-palestinien. Cela implique de remettre en cause tant d’idées préconçue à propos de nos propres « vertus démocratiques ». La première fois que je suis venu en Israël, j'ai refusé de me rendre de l'autre côté du mur et j'ai été très borné face à ceux et celles qui ont tenté de m'ouvrir les yeux sur ce qui se passe derrière la « barrière de sécurité ». Je réalise aujourd’hui que mon silence, que mon ignorance, étaient construits sur les mêmes bases que celui des Israéliens.

Découvrir son âme… de l’autre côté du mur
Traverser de l’autre côté du mur, traverser sur l’autre rive en terme évangélique (Lc 8, 22), demande un tel détachement : cela implique de s’ouvrir à l’autre coûte que coûte malgré les tempêtes et assumer la marginalisation qui l’accompagne. L’autre fait alors partie de mon monde, de ma chair! Jésus est cet homme qui a aussi cherché ses mots et les a trouvé en racontant des histoires. Il a traversé de l’autre côté du mur : il est allé vers les collecteurs d’impôts et les prostituées, vers les Samaritains et les étrangers, et même vers les soldats romains de son époque (les occupants !). De la même façon, je réalise que la résistance à l’occupation, peu importe le prix à payer, est la route spirituelle que Jésus a empruntée. Refuser d’être parmi la majorité silencieuse et courir le risque de vivre de l’autre côté du mur, au Québec comme en Israël, n’est-ce pas là l’essentiel de l’Évangile ? Perdre son âme… Non, c'est plutôt de ce côté qu'on la découvre dans toute sa profondeur!

5 commentaires:

Caroline a dit...

Merci pour ton témoignage, tes récits et tes réflexions, Michaël. Ils me font réfléchir à mon tour.

Anonyme a dit...

Oui, merci pour ton témoinage Michaël et j’espère que tu vas partager tes réflexions sur ton éxperience avec les gens de St. Jean quand tu reviens.

en communion
Isaac

Unknown a dit...

Merci beaucoup pour ton action qui me semble bien essentielle tant sur place pour ne pas laisser place aux différentes actions injustes d'un coté comme de l'autres, mais aussi ailleurs, comme ici au Québec où tu nous réveilles!!
Nous sommes de tout coeur avec toi et nos priéres venues de Sherbrooke t'accompagnent dans ta démarche que j'imagine au combien difficile, mais enrichissante comme tu nous le montres.
Nous suivrons ton action et tenterons de t'accompagner du mieux que nous le pourrons.

Amitiés fraternelles
Talipot, Noé, Maëlle, Coralie et Hugues
Des francais installés a Sherbrooke que tu as rencontré à St Jean.

Michaël Séguin a dit...

Bonjour à toutes et tous, de St-Hylaire, Montréal ou Sherbrooke !
Merci pour votre soutien et vos prières qui me sont très précieux. Bien au-delà de moi-même, je pense que c'est pour ceux qui vivent sous occupation, qui traversent les check points matin et soir, que votre soutien est le plus précieux. Je ne suis en fait que l'ambassadeur de tous ceux qui se soucient de la situation et c'est votre soutien qui donne vraiment sens à ce que je fais avec d'autres... Merci d'être là!
Maa issalame!
Michaël

Anonyme a dit...

J’avoue que je suis perplexe à propos de votre blog. Certes, vous avez une mission et vous êtes mandaté par des autorités respectables et connues. Vos rapports sont de type journalistique et ne semble pas dire grand-chose à propos de la mission et des interventions. La situation en Israël n’est pas simple. J’ai visité à plusieurs reprises ce coin du monde où les tensions font partie de la vie quotidienne. Par contre, vous ne rapporter pas « la situation » de manière objective. On y voit un seul côté de la médaille. La condition de vie des palestiniens est inacceptable ! L’État d’Israël est loin d’être parfait, fait reconnu d’ailleurs par la population israélienne qui n’a pas peur de demander des comptes à leur gouvernement. Triste de ne pas voir des rapports écrits sur votre mission œcuménique et vos interventions, j’espère lire prochainement quelques lignes à ce propos dans votre prochaine publication.