dimanche 15 octobre 2006

Quand s’asseoir à l’écart devient un appel et une grâce



Dans cette peinture pour le moins évocatrice et subversive de mon amie Annie-Claudine Tremblay, peut-on dire que Jésus était "dissident" au sens "d'assis à l'écart" ?









Ce texte constitue ma contribution à un débat sur la dissidence en Église au Centre culturel chrétien de Montréal (CCCM), le 28 septembre dernier, avec Odette Mainville, Mgr Bertrand Blanchet, archevêque de Rimouski, et Gregory Baum.


« La dissidence dans l’Église : péché ou liberté ? » Le titre de notre débat de ce soir (que j’espère être plus un dialogue qu’un combat !) me pose une série de questions. J’en vois au moins trois.

1- Tout d’abord, qu’est-ce que la dissidence ? Par exemple, est-ce de la dissidence d’amener un futur chien Mira à l’église ?

2- Ensuite, qu’est-ce que l’Église ? De qui parlons-nous ? De l’Église catholique dans sa majorité romaine, de ses filiales orientales, des églises protestantes sœurs, des églises évangéliques qui se multiplient un peu partout sur le globe, des communautés de base, de la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand ? Ça fait tout un décompte d’Églises ! D’ailleurs, est-ce de la dissidence de penser qu’il y a plusieurs Églises ?

3- Enfin, si la dissidence peut être vue comme un péché, une trahison, et pourquoi pas une apostasie ou un suicide (du temps de l’Inquisition, on brûlait les dissidents), pourquoi lui oppose-t-on la liberté dans le titre de ce débat ? Le péché lui-même n’est-il pas un acte libre et consentant ? C’est donc que la dissidence ne peut être au plus qu’un élan de folie et de liberté ? Au contraire, ne peut-elle pas être grâce, salut ou même illumination ?

1ère histoire de dissidence : les « confessionnaux jetables » des JMJ

En fait, parler de dissidence n’est pas chose facile. Cela exige de se mettre à nu, de dévoiler ses couleurs, d’accepter la marginalisation inhérente à tout acte qui sort du cadre normal des choses et le conteste. Deux histoires illustrent bien ce qu’est pour moi la dissidence évangélique : la première est un fait vécu, l’autre est relatée par un dissident en autorité[i], le cardinal Carlo Maria Martini.

Je travaillais à l’époque pour le diocèse de Valleyfield en tant que co-coordonnateur diocésain des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) 2002. Pour préparer le rassemblement estival, on avait invité tous les responsables diocésains et nationaux intéressés à un gros congrès à l’hôtel Delta Chelsea à Toronto. Vous imaginez : c’était la première fois de ma vie non seulement que je mettais les pieds à Toronto, mais aussi dans un endroit aussi luxueux… Pourquoi avait-on besoin de lustres de cristal pour organiser un événement qui aurait de toute façon lieu dans un champ et qui se terminerait (nous ne le savions pas alors !) dans la boue ? Enfin, si mon impression initiale en fut plutôt une d’étonnement, l’annonce d’une donation de 1,000,000$ par les Chevaliers de Colomb pour construire des « confessionnaux jetables » (le fameux Duc et altum parc) me sidéra. J’étais à un tel point scandalisé que j’ai publié quelques semaines plus tard un article dans Viateurs Canada baptisé : « Quand l’Église agit comme une multinationale… Comment devrait réagir le peuple de Dieu ?[ii] »

À ma grande surprise l’article a fait beaucoup de chemin et n’a pas tardé à se rendre au bureau national des JMJ à Toronto. Or, un mois plus tard, je croise à la basilique Notre-Dame un très haut responsable des JMJ venu assister au congrès des vocations. L’homme demande à me parler sur le champ, et croyez-moi, ce n’était pas pour une interpellation au presbytérat ! Tout de go, il me dit que mon article fait un grand tort aux JMJ, que j’aurais dû lui en parler avant d’écrire mon texte. Je lui rétorque que de payer 1,000,000$ pour des confessionnaux n’a pas de sens. Il me dit qu’il s’agit de la volonté du Saint-Père lui-même et moi de lui répondre que les volontés du pape sur le sujet n’ont aucun bon sens. La discussion se conclut alors sur une affirmation claire : « You’re a bad boy… »

Cette histoire amène beaucoup d’eau au moulin de notre réflexion et nous amène à se questionner sur ce qu’est la dissidence : est-ce refuser une parole du pape ? Est-ce refuser d’investir un million de dollars dans des confessionnaux jetables plutôt que de redistribuer la richesse pour les 90% de la catholicité qui ne pourront jamais se payer un billet d’avion pour venir participer à notre « party catho » ? Est-ce de prendre la parole publiquement pour dénoncer un excès plutôt que d’en parler en catimini avec les personnes concernées ? Est-ce de croire que l’Évangile ne tolère pas les lustres en cristal ?

2e histoire de dissidence : les problèmes maritaux de Jésus et du Saint-Sacrement

J’aimerais continuer ma réflexion avec une autre histoire[iii]. C’est l’histoire d’un mariage en Italie. Le couple s’est arrangé avec le curé de la paroisse afin d’organiser une petite réception dans la cour du presbytère, tout près de l’église. Or, la réception ne peut avoir lieu car il pleut. Les nouveaux mariés demandent alors au curé s’ils peuvent faire leur célébration dans l’église. Face au malaise que ressent le prêtre, les mariés lui disent : « Ne vous inquiétez pas ! Nous allons servir un petit gâteau, chanter une petite chanson, boire un peu de vin, et ensuite chacun retourne chez soi. » À contrecoeur, le prêtre fini par accepter. Mais les Italiens étant, comme on le sait, de bons vivants, ils boivent un peu de vin, chantent une petite chanson, puis boivent encore un peu de vin, chantent d’autres chansons, et au bout d’une demi-heure la célébration bat son plein dans l’église. Pendant que tout le monde s’amuse, le curé très tendu va et vient nerveusement, très tendu par tout ce bruit. Son vicaire vient le voir et lui dit :

– Vous me semblez très tendu mon père…
– Comment ne le serais-je pas ? Tout ce bruit dans la maison de Dieu, pour l’amour du Ciel !
– Mais, père, ils n’avaient pas d’autres endroits où aller.
– Je sais, je sais… Mais faut-il vraiment qu’ils fassent autant de bruits.
– Nous ne devons pas oublier que Jésus est allé lui-même à des noces, mon père...
– Je sais que Jésus est allé à un mariage, je sais, pas besoin de me le rappeler ! Mais ils n’avaient pas le Saint-Sacrement à ce mariage !
Cette histoire, d’une autre façon, relance encore notre réflexion. La dissidence, est-ce de préférer Jésus-Christ au Saint-Sacrement ? Est-ce que les tabernacles de chair sont moins importants que les tabernacles de marbre ? Vis-à-vis l’Évangile, est-ce le curé ou son vicaire qui est dissident ?

Définir la dissidence : s’asseoir à l’écart

Avant d’aller plus loin, autant définir la dissidence. Je ne suis pas un spécialiste de la linguistique, mais une petite recherche étymologique m’a apprise que le mot dissidence vient du verbe latin dissidere qui a comme origine le préfixe dis qui marque l'écart et le verbe sedere, s'asseoir. La dissidence, c’est donc s’asseoir à l’écart ! En fait, sans s’en rendre compte, notre vie est truffée de centaines d’exemples de gens qui vont s’asseoir à l’écart : un ministre qui rompt avec son gouvernement, un syndicat qui dénonce les politiques de son employeur, des citoyens qui manifestent contre des institutions politico-économiques, des mouvements comme les Forums sociaux mondiaux de Porto Alegre, Bombay et bientôt Nairobi qui refusent l’ordre mondial actuel, une conférence religieuse qui écrit à ses évêques pour les réveiller, 19 prêtres qui prennent position dans les journaux en faveur de l’inclusivité... Même le pape Benoît XVI, que la paix et la bénédiction d’Allah soit sur lui, est dissident à ses heures lorsqu’il choisit de rompre avec le politically correct en citant les propos anti-islamiques de l’empereur byzantin Manuel II ou lorsqu’il dénonce le recourt à la violence en cas de conflits comme il l’a fait pour la guerre israélo-palestinienne ou dans de nombreux cas de guerres de Afrique.

En somme, la dissidence a plusieurs facettes : alors que l’on peut être hyper-dissident dans une dimension de notre vie, on peut être des plus conservateurs dans une autre. De même, la dissidence peut tout aussi bien être mortifère que vivifiante. Spontanément, je m’aventurerais à la définir comme l’action d’enfreindre le statu quo, de refuser le politically correct d’un univers donné. Dans l’Église catholique, on pourrait définir la dissidence comme une infraction aux décisions du magistère, au « magistery » correct.

Douze raisons pour lesquelles je vais m’asseoir à l’écart

Cela dit, est-il bon ou mauvais d’enfreindre le magistère, est-ce un péché ou une grâce ? Je me risque à une réponse simple et très personnelle qui n’engage que moi : si le magistère lui-même est dissident du cœur de l’Évangile, c’est-à-dire l’amour du prochain, des collecteurs d’impôts et des prostituées qui nous précèdent tous dans le Royaume, alors autant être dissident du magistère. Autrement dit…

1. Si l’évêque de Rome refuse de reconnaître la pleine place des femmes, je vais m’asseoir à l’écart.

2. À la lecture d’un catéchisme où le meurtre se pardonne, mais non les bourdes de gens qui se sont trompés dans leurs relations amoureuses et ont dû divorcer, je vais m’asseoir à l’écart.

3. À entendre un épiscopat qui tient des propos homophobiques et qui semble préférer la chasse aux sorcières à la Bonne Nouvelle d’un salut offert aux plus petits, je vais m’asseoir à l’écart.

4. À voir tant d’occasions où le célibat est plus important que le pastorat et où l’on préfère se priver de prêtres plutôt que de dévier aux normes canoniques établies depuis la réforme grégorienne, je vais m’asseoir à l’écart.

5. Face à un missel romain à imposer à tous qui n’est pas même foutu d’être écrit dans un langage inclusif et dont les normes ne laissent aucune place à une véritable inculturation, je vais m’asseoir à l’écart.

6. Aux prises avec une structure cléricale monarchique qui refuse une véritable collégialité et où les laïcs ne sont que des « bouche-trou » en attendant la miraculeuse apparition de ministres ordonnés, je vais m’asseoir à l’écart.

7. Au cœur d’une curie romaine dominée par le secret où la nomination des évêques se joue sans consultation publique et transparente des fidèles et où l’« industrie des canonisations » devient un commerce encore plus lucratif que celui des messes, je vais m’asseoir à l’écart.

8. Face à certains évêques qui auraient mieux fait d’étudier aux HEC à voir la façon désastreuse dont ils gèrent leurs diocèses, comme une entreprise où l’on fusionne les paroisses sans demander l’avis des fidèles, je vais m’asseoir à l’écart.

9. Dans une Église canadienne où même les religieux et les religieuses deviennent non-représentatifs, je vais m’asseoir à l’écart.

10. Confronté à un Saint-Siège toujours prêt à dresser ses échafauds inquisitoriaux pour réduire au silence un théologien dissident ou rappeler à l’ordre un évêque via la bouche de ses nonces, je vais m’asseoir à l’écart.

11. Face à un pape qui veut se concentrer sur le « petit reste » quitte à « tridentiniser » l’Église entière pour réintégrer quelques lefebvristes, je vais m’asseoir à l’écart.

12. Enfin, dans une Église dont le discours magistériel est plus pharisaïque que celui des pharisiens du temps de Jésus eux-mêmes, avec un code de droit canonique plus rigoureux que les 613 préceptes de la Torah, je vais m’asseoir à l’écart.

La dissidence comme pèlerinage, appel à la fidélité et grâce

Et curieusement, une fois à l’écart, je retrouve tant de gens qui ont fait comme moi : des prêtres, des évêques émérites, des femmes, des hommes, des théologien(ne)s, des diacres, des agents de pastorale. Une fois à l’écart, je me rends compte qu’il y a beaucoup plus de monde là qu’il y en a dedans ! C’est à se demander si finalement, les dissidents, ce ne sont pas ceux qui restent plutôt que ceux qui vont s’asseoir à l’écart ! Tout ce monde à l’extérieur, c’est ce que j’appelle le sensus fidelium, ou le gros bon sens spirituel. C’est ce même gros bon sens qui m’amène graduellement à redéfinir ce qu’est l’Église, à détourner les yeux de la structure et de ses vieux bonzes, pour regarder ces hommes et ces femmes de foi qui sont autour de moi, qu’ils soient anglicans, bouddhistes, sunnites, juifs, athées, agnostiques, confus ou confucianistes ! Plus encore, il me semble que la dissidence comprise comme une fidélité profonde à l’Évangile devient tout le contraire d’un péché : elle est la grâce d’un appel ! Elle est une mise en route, un pèlerinage, une invitation à la recherche et la formation de communautés de foi et d’amour authentiques qui laissent vraiment place aux surprises du Souffle divin.


[i] L’expression est de Gerald Arbuckle dans Refonder l’Église. Dissentiment et leadership, (Montréal : Bellarmin, 2000). Pour lui, les dissidents en autorité « peuvent faire les changements structurels nécessaires pour que les [dissidents] “éclaireurs” puissent mettre leurs dons au service de l’Église. » (p. 18)

[ii] Michaël Séguin, « Quand l’Église agit comme une multinationale… Comment devrait réagir le peuple de Dieu? », dans Viateurs Canada, no. 80, mars 2002, p. 22-23.

[iii] Anthony de Mello la raconte dans son livre Quand la conscience s’éveille (Paris : Albin Michel, 2002), p. 85-86.

3 commentaires:

Annie-Claudine a dit...

Premièrement, c'est toujours un honneur de voir que mes toiles inspire les copains, super ! Deuxièmement je suis très fière de toi Bad Boy ! Au sujet de l'église qui agit comme une multinationnale tu adoreras "Jésus lave plus blanc"

Niveau dissidence tu demande si c'est le curé ou le vicaire qui l'est davantage. Moi je dirais que c'est Jésus le pire et que personne là dedans lui arrive à la cheville à ce niveau ; )

Pour les 12 raisons de s'asseoir à l'écart je suis daccord avec tout. C'est drôle tu ne trouve pas qu'à la fac je crois qu'à peu près tout le monde serait totalement daccord avec toi mais en même temps, maudit qu'ils-elles sont branleux-ses quand il sagit de mettre ses culottes et de dire tout ça publiquement. C'est un brin choquant des bouttes.

Ceci dit, vive la dissidence Ouais !

Steve Robitaille a dit...

Salut Michaël,
Ton action de dissidence contre les confessionaux jettables est très inspirante. L'Église est souvent gérée comme une multinationale - je le sais en tant qu'évangélique... - et il faut dénoncer toutes les manifestations de l'idôlatrie de marché qui imprègne une église (quelle soit catholique, évangélique ou autre) complètement déboussolée et qui n'a pas le coeur à la bonne place. Je suis bien content de lire ton blog.

Anonyme a dit...

Dans le monde juridique, mon cher ami, la dissidence d'aujourd'hui annonce le droit de demain. Et si tous les dissidents te ressemblent un peu, je vois dans l'avenir de merveilleuses promesses d'espérance et d'ouverture...
Ceci dit, il n'est pas un esprit ouvert qui pourrait résister à l'appel de ta grâce...

Je te félicite et te remercie du fond du coeur pour ce que tu es et ce que tu annonces; ce merveilleux texte fait désormais partie d'un temple de la renommée officieux consacré au gros bon sens spirituel.

Amitiés,

Maurice